(îkrkr lUtbrjtrg {ÊtBttm Mmttïrsttg SENS COMMUN ADRESSÉ AUX HABITANS DE L’AMÉRIQUE. ^üVRAGEs de Thomas P ame^ qui se trouvent chez, le même duibraire» ^îioiTS DE E’nqMME , CIL »réj^nse a>ix attaques J^urke sur la »réydlutionirançdise J vol. a liv. Proits De l’ç:^m]^e^ §^çojide partie , réunissant les principes et la pratique j i vol. 2 liv. Üe GUE IL de divers Eqrits ^ Thomas ïame,, spr la politique et la législation J 1 vol. orné de sosa portrait* L E SENS COMMUN,' adressé AUX HABITANS D E L’A M É R I Q U E, Par Thomas Paine, Secrétaire du Congrès pour les Affaires étran- gères , pendant la guerre de l’Amérique , et Membre de la Convention Nationale de France, en 1792,. Traduit sur la dernière édition ^ publiée à Londres f par V Auteur. A PARIS, xChez BUISSON, Libraire, rue Haute- Feuille, N°. 20. *793» ?• INTRODUCTION. P ÉUT-ÊTRE que les sentimens , contenus dans cet Ecrit, ne sont pas assez à la mode pour obtenir les suffrages de tout le monde. La longue habitude de croire qu’une chose n’est pas injuste, lui donne une apparence de justice, et fait élever d’abord un cri général en faveur de l’usage. M^iis le tumulte s’appaise : le temps con- vertit plus de monde que la raison. Un long et violent abus du pouvoir est ordinairement ce qui occasionne la recher- che des droits sur lesquels ce pouvoir est fondé ; et les violences qu’on emploie contre ceux qui font ces recherches , les entraînent toujours plus loin qu’ils n’avoient intention d’aller. Le roi d’Angleterre a cru avoir le droit de soutenir le parlement , dans ce que celui-ci appelle aussi ses droits ; et le peuple Américain étant excessivement opprimé par le roi et le parlement, il est indubitablement fondé à discuter les pré- tentions de l’un et de l’autre , et à rejetter également leurs actes. L’auteur de cette brochure a évité avec soin tout ce qui est personnel. On n y trouvera ni compliment , ni censure par- ticulière. Le sage, l’homme de bien n’a pas besoin des éloges d’un pamphlet : et ceux dont les opinions sont injustes et con- traires aux avantages de leur pays, revien- dront d’eux-mêmesi ou il seroit inutile de chercher à les convertir. Introduction. Yi) La cause de l’Amérique est à beaucoup 5. Mais alors cela ressemble à une maison où règne la discorde; et quoique cette définition paroisse d’abord faite assez élégamment, on trouve, ch l’examinant ensuite avec réflexion , que les mots en sont vagues et équivoques. On voit enfin que lés phrases les mieux arran- gées , loïsqit elles sont appliquées à des choses qui ne peuvent exister, ou qui sont en quelque sorte incompréhensibles, n’of- frent que des sons qui peuvent bien flatter l’oreille , mais qui certes ne disent jamais rien à l’esprit. (ix) La prétendue explication , dont je viens de parler, fait naître une question : Commerit se que le roi fut revêtu un pour- voir auquel le peuple craint de se confier y et qid il est sans cesse obligé de réprimer l Un tel pouvoir ne put être donné par un peuple sage, et au^cun pouvoir qui a besoin de répression , ne peut venir de Dieu. Cependant la constitution angioise suppose Texistence de ce pouvoir. Mais tout cela n’est qu’un tissu de con- tradictions et d’inconséquences. Car-comme dans la balance le plus grand poids doit nécessairement emporter le nioiiidre , et que dans une machine toutes les roues doivent être mises en mouvement par une première , il s^agit de savoir quel des pou- voirs de la constitution angioise a le plus de poids ; car c'est celui qui doit gouverner : et quoique les autres ou an moins une par- tie d’entr’eux puissent l’embarrasser , ou , comme on dit , ralentir la rapidité de son mouvement , s’ils ne peuvent pas l’arrêLer tout -à-fait , leurs efforts seront inutiles. Il va toujours droit à son but, et il y arrivera un peu plutôt ou un peu plus tard. (12) Il est certainement inutile de dire que la royauté est dans la constitution angloise le pouvoir prépondérant ; et que ce qui lui donne cette prépondérance est la faculté d’accorder des places et des pensions. Dans le même temps où nous avons paru assez sages pour fermer la porte à la monarchie absolue , nous avons fait la folie de donner la clef de la serrure au monarque* Le préjugé des Anglois en faveur de leur gouvernement composé d’un roi, des pairs et des communes , est un effet de l’orgueil national , et ne peut être autorisé par la raison* En Angleterre , les personnes sont, sans contredit, plus en sûreté que dans quel- ques autres pays ; mais la volonté du roi n’y fait pas moins la loi qu’en France. Il y a une seule différence ; c’est qu’au lieu de sortir directement de sa bouche , elle paroît sous la forme d’un bill émané du parle- ment. Le sort de Charles a rendu les rois plus rusés, mais non pas plus justes. Toutefois , en laissant de côté tout or- gueil , tout préjugé national , la vérité est que , si le roi n’est pas aussi despote en Angleterre cpi’en Turquie , on le doit à la. ( i3 ) constitution du peuple ^ et non à la consti-^î tution du gouvernement. Larechercliedeserreurs constitutionnelles dans la forme du gouvernementBritannique, est en ce moment très ~ nécessaire ; mais comme nous ne sommes jamais disposés à bien rendre justice aux autres^ tandis que nous avons quelqu’intérêt contraire, nous ne pouvons pas non plus nous rendre justice à nous-mêmes, si nous restons entravés dans les fers du préjugé. Ldiomme attaclié à une prostituée est incapable de distinguer et de juger une femme honnête : ainsi toute pré- vention en faveur d’une constitution cor- rompue, ne nous permet pas d’en discerner une bonne. CM) C H A P I T R E I I. JDe la Monarchie et de la Succession ■> héréditaire * Les liorarnes étant tons égaux dans Tordre ^ de la création , leur égalité ne put être dé- truite que par diverses causes ^ pamii les^ quelles on peut compter sans doute lu dis- tinction du riche et du pauvre, qui eut alors lieu , sans qu’on connût les noms désagréables d’oppression et d’avarice. J/op- pression est souvent l’effet des richesses^ mais jamais le moyen de les acquérir; et si Tavarice empêche un homme de tomber dans l’extrême indigence , elle le rend trop craintif pour qu’il puisse jamais devenir très riche. Mais il y a ensuite un autre grand coup porté à l’égalité^ et qu’on ne peut justifier par aucune raison naturelle , ni religieuse : ce coup est la distinction des hommes entrei rois et sujets. La nature a distingué les mâles j ‘Ai ( ) et les femelles; Dieu les bons et les mé- dians : mais comment parut-il dans le monde une race d’iiommes aussi élevés au-dessus des autres, et regardés comme'une espèce nouvelle ? Il est juste d’en rechercher l’ori- gine, et d’examiner s’ils sont créés pour le bonheur ou le malheur du genre humain. En nous en rapportant à l’Ecriture sainte , nous voyons que dans les premiers âges du monde il n’y avoit point de rois. Aussi, par une conséquence naturelle , n’y avoit - il point de guerre ; l’orgueil seul des rois livra le genre humain à la discorde. La Hol- lande , délivrée des rois, a joui, dans ce siècle , de plus d’années de paix que tous les. royaumes de l’Europe ensemble. L’antiquité nous fournit de pareils exemples ; la vie tranquille et pastorale des pr emiers patriar- ches a quelque chose d’heureux , qui dispa- roît dès qu’on arrive à l’histoire des rois juifs. Les payens furent les premiers qui insti- tuèrent le gouvernement des rois ; et les enfans d’Israël les imitèrent bientôt. L’enfer ne put rien produire de plus capable de faire prospérer l’idolâtrie. Les payens ado- roient les rois après leur mort. Les chré- ( ) tiens ont depuis renchéri sur les payens, car ils adorent leurs monarques pendant leur vie. Ehl combien est impie le titre de sacrée majesté, appliqué à un ver qui , mal- gré sa vaine splendeur , rampe encore dans la poussière ! Les droits de la nature ne permettent point qu’on élève autant un homme au- dessus des autres, et l’autorité de l’Ecriture ne peut jnstilier cette élévation; aucontraire, l’Eternel a déclaré , parla bouche de Gédéon et de Samuel, qu’il désapprouvoit le gouver- nement des rois. Tous les passages qu’on rencontre dans la Bible, contre les rois, ont été adoucis dans les gouverneinens monar- chiques ; mais ils méritent certainement l’attention des nations qui sont encore à même de former leur gouvernement. «Rendez à César ce qui appartient à César», est la doctrine des cours. Cependant cette maxime n’a point été faite pour un gouver- nement monarchique , car les Juifs étoient alors sans rois , et sous le joug des Ro- mains. D’après la Bible , le monde avoit été créé depuis près de trois mille ans , lorsque les Juifs, égarés J s’avisèrent de demander un. C>7.) roi. Jusqu’alors leur gouvernement , excepté dans quelques cas où le Tout-Puissant inter- venoit lui-même , avoît été une espèce de république , gouvernée par un juge et les anciens des tribus. Ils ne connoissoient point de rois, et il eût été criminel de donner ce titre à tout autre qu’au Dieu des armées. Et quand un homme réfléchit un peu à l’klo- latrie avec laquelle on flatta les rois, il n’est point surpris que l’Eternel, toujours jaloux de sa gloire , condamne une espèce de gou- vernement assez impie pour s’arroger les droits du ciel même. * L’Écriture met la monarchie au rang des péchés des Israélites , et en conséquence elle les maudit. Ce passage est vraiment digne d’attention. Les Hébreux étant opprimés par le peuple de Madian , Gédéon marcha contre lui ; et soutenu par l’Eternel, il le vainquit avec une très-petite armée. Enchantés d’un si grand succès , les Hébreux en attribuèrent toute la gloire au courage de Gédéon , et ils lui proposèrent de le faire roi , en s’é- criant : ce Règne sur nous , toi et ton fils , et .» les fils de ton fils ». C’étoit un puissant motif de tentation ; non-seulement posséder (i8) , soi même un royaume , mais en pouvoir laisser l’héritage à ses enfans ! Mais Gédéon, dont le cœur étoit droit et pieux , répondit : « Je ne veux point régner sur vous , et mon 3> fils n’y régnera point ; l’Éternei. seou 33 régnera sur vous 33, Ces dernières paroles n’ont point besoin d’être expliquées. Gédéon ne refusoit pas précisément 1 honneur de régner ; mais il dénioit aux J uifs le droit de l’accorder. Il ne les remercie point , il ne leur fait pas de vains complimens ; mais il les reprend en prophète d’oublier que le roi du ciel règne sur eux. Environ centtrente ans après, les Hébreux retombèrent dans la même erreur. Le pen- chant qu’ils avoient pour les coutumes ido- lâtres des payens, est inexprimable. Profi- tant donc de Finconduite des deux fils de Samuel, ils accoururent tumultueusement vers le prophète , et lui dirent : « Tu es >3 vieux , et tes fils ne marchent, point 33 dans tes voies ;■ donne-nous un roi, qui 33 nous juge , comme en ont toutes les autres 33 nations 33. Ici nous ne pouvons nous empêcher d’observer combien leur con- duite étoit criminelle. Ils demandoient à être comme toutes les autres nations, c est- >dxre, comme les payens ; eux dont la gloire -it être de différer entièrement de ces memes payens. Samuel fut justement blessé de ce qu’ils lui demandoient un roi pour régner sur eux. « Il invoqua le Seigneur, et le Seigneur lui répondit : Ecoute la « Yoixde ce peuple : il s’adresse à toi ; mais' « il ne t’a point rejetté, toi : c’est moi qu’il » rejette. Ir ne veut flus que je eègne sur » LUI. D après toutes ses œuvres , depuis le « jour où je l’ai retiré de la captivité d’E- ” gypte , jusqu a ce jour où il m’a aban- » donné pour servir d’autres Dieux ; » ce qu’il a fait même sous toL Proteste » solemnellement contre lui ; et montre » lui de quelle manière un roi.régUiera sur >:> Im». Cequine veut pas dire la manière d un seul roi , mais de tous les rois dçs autres nations de la terre , que les Israélites étoient si jaloux d’imiter. Malgré la différence des^ âges cette manière n^â‘ point changé. « Et Samuel répéta les paroles du Seigneur » an peuple , qui demandoit un roi ; ef il » dit : voici de quelle manière le roi ré- » gnera sur vous. Il prendra vos filsl^et les î’ emploiera , les uns à conduire ses ,cha- » riots, les antres à soigner ses chevaux B Z ( ÎO ) s> les Autres à courir devant SOU cliar ». {ma- nière de traiter les hommes qui est encore à la mode) « Il nommera des capitaines » de mille hommes ; il en nommera de » cinquante. Il les obligera de labourer ses aj champs , de recueillir ses moissons , de *> faire ses instrumens de guerre , et les m ustensiles de ses chariots : et il prendra » vos filles pour faire sa cuisine , son pain n et les choses délicates qu’on servira sur sa %> tah\ex> .(Ceci montre les dépenses, le luxe et V oppression des rois. ) — « Et il prendra M yos champs et les endroits où vous re- » cueillez yos olives, même les meilleurs,’ ao pour les donner à ses domestiques ; et a> il prendra la dîme de vos moissons et 35 de vos raisins, pour les donner à ses offî- 33 ciers et à ses serviteurs33. ( (7e g'mjsro/zre que la faveur 3 la corruption sont les vices ordinaires des rois.) « Et il prendra le 33 dixième de vos serviteurs et de vos ser-. 33 vantes , ainsi que de vos jeunes hommes, » et de vos ânes pour les faire travailler 33 pour lui ; et il prendra le dixième de vos » moutons , et vous serez ses serviteurs ; V et ce jour - là vous crierez pour vous 33 plaindre du roi que vous aurez choisi (21 ) 5^ ï:t xe Seigneur ne voudra point voü$ >5 ENTENDRE Ceci suffit pour montrer quelle fut This- toîre de la monarcliie Juive. Les vertus de quelques rois hébreux ne suffisent point pour justifier la royauté , ni faire oublier le crime de son origine. L’éloge que l’Ecriture fait de David ne dit point qu’il fut légiti- mement roi , mais un homme selon le cœur de Dieu. « Cependant les Israélites re- » fusèrent d’oBéir à la voix de Samuel , et 33 ils dirent : nous voulons avoir un roi pour » regner sur nous , afin d’être comme tous » les autres peuples , et que notre roi s> marche devant nous et qu’il livre des 33 batailles 33. Samuel leur lit encore des représentations, mais en vain. Il leur reprocha leur ingrati- tude, et ne les corrigea pas. Enfin, voyant qu’ils s’oplhiâtroient dans leur folie , il s’é- cria : « J’invoquerai le Seigneur, et il fera 33 tomber le tonnerre et la pluie 33. ( Ce qui eut été une punition pour euçc , car c’é— toit ciu moment de la récolte du Ji'oinent. y ce Afin que vous puissiez connoître que T> votre crime est grand aux yeux du Sei- ^ gneur , puisque vous dèmaudé E 3 ( 22 ) î3 roi. Saüittel s’adressa donc a Dieu ^ s> et Dieu fit tomber ce jour -là le ton-* ï> nerre et la pjuie ; et tout le peuple eut » giand’peur du Seigneur et de SamueL » Et le peuple dit alors à Samuel : Prie le » Seigneur pour tes serviteurs , afin que nous ne rnourionÊ^ pas ; car nous avons 3:. AJOUTÉ A nos PÉCHÉS EN DEMANDANT VN 3> ROI 35. Ces passages de l’Ecriture sont clairs et positifs , et ne présentent aucune équivoque. I! paroît par-là , ou que l’Eternel a condamné la royauté , or. que l’Ecriture est fausse ; et nous ayons grande raison de croire que dans les pays catholiques , l’intérêt des rois n’a pas moins servi que 1 interet des pretres à empêclier que l’Ecriture fût répandue en langue vulgaire ; car la royauté est à tous égards un papisme politique. Au malîieur d’avoir un monarque , nous avons ajouté le malheur d’une succession héréditaire ; et comme la première de ces choses est un oubli, une dégradation denous- mêmes , le second , regardé comme un droit, est une insulte à la postérité. Tous les hommes étant originairement égaux, aucun d’eux n’a le droit de donner à sa famille (23) le pouvoir de régner éternellement sur leâ autres*; et si lui-même peut mériter que ses contemporains Thonorent, ses descendans peuvent aussi être indignes de partager ses honneurs. De toutes les preuves contre le droit héréditaire que s'arrogent les rois, une des plus fortes , c'est que la nature même le condamne ; autrement elle ne feroit pas aussi souvent sentir le ridicule de ce droit , en donnant au genre humain un âne pour un lion. Secondement, comme aucun homme ne peut jouir d'autres honneurs publics que de ceux qu'on lui accorde , ceux qui décernent ces honneurs n'ont aucun titre pour blesser les droits de la postérité ; et quoiqu'ils soient maîtres de dire : «: Nous vous choisissons >5 pour notre chef » ; ils ne peuvent pas sans être manifestement injustes envers leur race, ajouter ; cc Que vos enfans et les enfans de » vos enfans régnent sur nous à jamais ». Car cet engagement inique et dénaturé pour- roit peut-être, dès le second règne, les sou- mettre à un scélérat ouàunfou.Les hommes les plus sages ont toujours, en secret, parlé de la monarchie héréditaire , avec le plus profond mépris. Cependant c'est un de ces B 4 ( ^ maux auxquels il est bien difficile de^reme- dier , quand ils ont une fois pris racine dans un pays. Quelques hommes les endu- rent par crainte ; d’autres par superstition ; et la plus grande partie partage avec le roi les dépouilles du reste. Jusqu’à présent nous avons supposé à la race des rois une honorable origine : mais il est probable que si nous avions pu fouiller dans les ténèbres de l’antiquilé , nous au- rions vu que le premier d’entr’eux n’étoit que le plus déterminé de quelques hordes de brigands f à qui sa férocité , son adresse à piller, obtinrent le titre de chef, et dont le pouvoir s’accrut à mesure qu’il étendit les dévastations , et qu’il força les hommes timides et paisibles à acheter leur repos par des tributs fréquens. Cependant ceux qui rélurent, ne pou voient songer à lui donner un droit héréditaire sur leurs descendans , parce que ce renoncement éternel étoit in- compatible avec les principes de liberté et d’indépendance, qu’ils prétendoîent avoir. Dans les premiers temps où il y eut des rois , l’hérédité du trône ne put pas être regardée comme un droit ; mais comme une diose qui pouyoit avoir lieu , et qu’on (25) devoit quelquefois espérer. Certes , on ne tenoit point alors de registres de ce qui se faisoit ; on n’avoit que des traditions, dans lesquelles la vérité étoit bientôt étouffée sous la fable ; et au bout de quelques généra- tions, il fut bien aisé d’inventer quelque conte, propre à ces temps, comme ceux de Mahomet l’étoient au sien, et de faire croirè au vulgaire que l’hérédité du sceptre étoit un droit réel. Peut-être les ^désordres dont on fut menacé à la mort de quelque chef , ou pendant rélectîon d’un autre , ( car parmi des brigands les élections ne doivent pas être bien tranquilles ) enga- gèrent une partie d’entr’eux à favoriser l’hérédité ; d’où il est survenu qu’une chose, à laquelle on s’étoit soumis , parce qu’on la. croyoit convenable , a été regardée depuis comme un droit. Depuis l’invasion de Guillaume-le-Nor- mand, l’Angleterre n’a eu que très-peu de bons rois, mais elle a gémi sous un grand nombre de tyrans. Cependant nui homme raisonnable ne peut dire que le droit de régner, qu’ils doivent à Guillaume, soit très- bien fondé. Un bâtard françois qui ^ à la tête d’une armée de bandits ^ passe en ( 26 ) Angleterre , et s’y établit roi , malgré les gens du pays , est en propres termes , un honteux et détestable modèle ; et on ne peut trouver en lui rien de divin. Mais il est inutile de perdre plus de temps à combattre le djoit de riiérédité du trône. S il se trouve encore quelqu’un assez foible pour y croire , qu’il adore ensemble l’âne et le lion ; je n'imiterai sa bassesse ^ ni ne trou- blerai sa dévotion. Cependant je yoiidrois demander com- ment on croit qu’ont commencé les rois? Cette question ne permet que trois répon- ses. Leur nomination a été tiree au sort^ on elle s’est faite par élection , ou par usur- pation. Si le premier roi a été choisi par le sort, ce fut une règle pour le second^ et cette règle exclut l’hérédité, Saiil fut choisi par le sort ; aussi sa place ne fut- elle point regardée comme héréditaire , et rien n’annonce qu’on eût aucune intention de la regarder comme telle. Si le premier roi d’un pays quelconque le fut par élection , ce fut également une règle pour le suivant ; car prétendre qu’en choi- sissant un roî^ ou une famille de rois^^ un peuple a pu s’emparer du droit de toutes ( 27 ) les générations futures, c’est ce qu’on ne trouve ni dans TEcriture ni hors de l’Ecri- ture , et qui ressemble à la doctrine du péché originel , qui suppose la volonté de tous les hommes confondue dans celle d’Adam. Or, une telle comparaison , et c’est la seule qu’on puisse faire, est peu glorieuse pour l’hérédité du trône. De même, dît-on, que tous les hommes ont péché en Adam , la postérité la plus reculée de ceux qui ont choisi un roi , s’est soumise avec eux. Dans l’un, le genre humain a été livré à satan; dans les autres à la royauté. Notre innocence a été perdue avec l’un; notre au- torité avec les autres : et comme ce double malheur nous empêche de reprendre notre premier état et nos privilèges naturels , il s’ensuit que le péché originel et riiérédité du trône sont semblables. Crue| rapproche- ment ! honteuse ressemblance ! Le plus sub- til sophiste ne pourroit offrir de compa- raison plus vraie. Quant à l’usurpation , personne. Je crois , ne sera assez hardi pour la défendre ; et on ne peut pourtant pas nier que Guillaume- k-Conquérant ne f^t nn usurpateur, D’ail- ( a8 ) leurs , à dire la vérité , ou ue peut pénétrer dans l’antiquité de la monarchie angloise. Mais le danger de l’iiérédité du trôiie> inté- resse bien autrement le genre humain , que l’absurdité de cette institution. Si elle assu- roit une race d’hommes justes et sages , elfe seroit empreinte du sceau de la divinité; mais comme elle sert de marchepied à des fous, à des médians , à des hommes ineptes , elle ports uncaractère d’oppression. Leshommes qui se regardent comme nés pour régner, et qui ne considèrent les autres que comme faits pour leur obéir , deviennent bientôt însolens. Séparés du genre humain, en gé- néral , lems cœurs sont empoisonnés die bonne heure par la vanité ; et les gens au milieu desquels ils vivent diffèrent tellement dn reste des hommes , qu’ils ne connoissent ordinairement que très-mal le monde et les affaires. Aussi quand ils prennent en main les rênes du gouvernement , sont- ils ordi- nairement les hommes les plus ignorans et les plus incapables. L’hérédité du trône a un autre inconvé- nient : c’est que souvent elle est le partage d’un enfant en bas-âge ; et pendant tout le temps de la minorité , ceux qui ont la rê- l 29 ) ^ence , peuvent, sous le nom du roi , trâliîr tout à leur aise les intérêts qui leur sont confiés. Le même malheur arrive lorsqu’un roi, accablé par l’âge et les infirmités , re- tombe dans l’enfance. Dans ces deux cas , le peuple est toujours victime de tous les scélérats qui ont l’adresse de séduire le roi. La meilleure chose qu’on ait cru dira pour défendre l’hérédité du trône , c’est qu’elle prévient les guerres civiles : mais il n’y eut jamais rien de plus faux. Toute l’histoire d’Angleterre nous prouve le con- traire. Depuis sa conquête , trente rois et deux mineurs sont montés au trône dans ce malheureux royaume ; et pendant cet espace de temps il y a eu, en y comprenant la révolu- tion, huit guerres civiles et dix-neuf révoltes. Ainsi , au lieu d’assurer la paix , l’hérédité semble la détruire. lies querelles des maisons de Lancastfes et d’Yorck, qui se disputoient le trône,, ensanglantèrent l’Angleterre pendant une longue suite d années*. Henri et Edouard se livrèrent douze batailles, sans compter les petits combats et les sièges qui eurent lieu*. Deux fois Henri fut pr’xonnier d’Edouard , ^ni à son tour fut pris par Henri i et le sorj^ I ( ) de là guerre est si inconstant , Tesprit d’une nation si changeant , quand les rois se bat- tent pourleurs intérêts particuliers, quTIenri fut retiré de sa prison, et porté en triomphe au palais tandis qu’Edouard étoit obligé de fuir ce même palais pour se retirer dans une terre étrangère. Mais des changemens aussi soudains durent peu. Henri fut encore cliassé du trône , et Edouard rappel] é , le parlement suivant toujours le parti du plus fort. Cette querelle commença en 142*2. , sous le règne dlienri VI , et dura jusqu’en 1489 , sous Henri VII , qui réunit en lui les droits des deux maisons. En un mot, la royauté, et le droit de la rendre héréditaire, ont couvert de sang et de cendres , non-seulement la Grande-Bre- tagne , mais le monde entier. C’est un, genre de gouvernement que Dieu même a con- damné, et qne le' malheur suit. Si nous voulons examiner quelles sont les occupations d’un roi , nous verrons que* dans quelquès pays il n’en a aucune ; et après avoir passé sa vie dans l’oisiveté , sans plaisir pour) lui et sans avantage pour son peuple, il cède la place à un successeur qui ue là remplit pas mieux. Dans les monarchies ( 3i ) absolues , tout le poids des affaires civiles et militaires roule sur le roi. Les eufans dlsraël , alors qu’ils demandèrent un roi , dirent : « qu’il puisse nous rendre la justice , qu’il marche devant nous , et qu’il nous 35 mène au combat 55. Mais dans un pays où le roi n’est ni juge ni général, 011 est fort embarrassé de dire ce qu’il peut faire. Le gouvernement qui approche le plus de la république laisse encore moins d’af- faires au roi. Il est assez difficile de donner un nom bien appliqué an gouvernement d’Angleterre. Sir William Maredith l’appelle une république ; mais en ce moment , ce gouvernement ne mérite pas ce nom ; car l’influence corruptrice de la couronne qui distribue tontes les places , a tellement fait passer le pouvoir de son côté ^ et dévoré la vertu de la chambre des communes, (seule partie républicaine de la constitution ) que le gouvernement d’Angleterre est presque a.ussi monarchique que celui de France et d’Espagne. Les hommes citent souvent des. noms sans les entendre. C’est de la partie républicaine de leur constitution, et non de la partie monarchique , que les Anglois se . vantent, lis se glorifient de la liberté de ( 3 a ) cliolsir parmi eux les membres qui compo- sent la chambre des communes ; et il est aisé de voir que là où les Amrtus républi- caines manquent, l’esclavage commence. Pourquoi la constitution d’Angleterre est- elle malade ? Parce que la monarchie a empoisonné la république. La couronne j maîtrise les communes. f En Angleterre, le roi n’a autre chose à, | faire que déclarer la guerre et donner des ^ places, c’est-à-dire, appauvrir la nation et | en faire ce qui lui plaît : magnifique occu- \ pation pour un homme à qui on accorde huit cent mille liv. sterlingspar an , et qu’on adore encore par-dessus le marché ! O com- bien un homme juste , qui vit paisiblement dans la société , est plus agréable aux yeux de Dieu, que tous les scélérats couronnes,,, qui ont fait gémir la terre I CHAPITRE (33) CHAPITRE III, CvnsîdéfaûonÈ sur V état présent des affaires de V Amérique^ Je n’offrirai ici qué des faits simples , des raisoniiemens clairs et du sens commun. Je n’ai besoin que de prier le lecteur de se dépouiller de toute espèce de préjugé et de* partialité > et de laisser agir sa raison et son cœur sentir» Qu’il prenne le vrai caractère d’homme^ ou plutôt qu’il ne l’abandonne pas ; et qu’il porte généreusement ses regards au-delà du jour où nous vivons» On a déjà écrit des volumes sur la querelle de l’Angleterre et de l’Amérique. Des hom- mes de tous les états sont entrés dans cette dispute par différens motifs et avec des desseins contraires : mais tout cela a été inutile : les écrits ont cessé , et les armes sont le dernier moyen qui doit jilger le pro- cès. Le roi a offert le cartel ; rAinériqué l’a accepté* C (34) On a rapporté que M. Pelliam qui, qnoi- qu habile ministre , n’étoit pas exempt de fautes, se trouvant attaqué dans la chambre des communes , sur ce que ses mesures , re- lativement à l’Amérique , n’étoient que temporaires , il répondit : « elles useront U tout mon temps ». Si une pensee aussi fatale , aussi inhumaine , a préparé aux colonies la guerre actuelle , la génération future ne doit se rappeller qu’avec horreur le nom de ses ancêtres. Le soleil n’a jamais éclairéune aussi grande cause. Ce n’est point l’affaire d’une ville, d’un comté , d’une province , d’un royau- me ; mais d’un continent , de la huitième partie du globe habitable : ce n est point l’intérêt d’un jour, d’une année, d’un siè- cle ; là postérité entière est comprise dans cette querelle ; et elle se ressentira jusqu a la fin des âges de la manière dont nous la terminerons. Voici maintenant le jour où doit commencer l’union , la foi , l’honneur > , du continent. La moindre forfaiture seroit semblable à des traits gravés avec un léger poinçon sur l’écorce tendre d’un jeune chene. Ils croissent avec l’arbre, et la postérité peut les lire en gros caractères. ( 35 ) En quittant les raisonnemens pour pren- dre les armes, on a commencé un nouvel ère de politique , on a pris une autre ma- nière de penser. Les plans , les propositions qui ont précédé le 19 avril,' c'est à-dire, répoque de^ hostilités , sont regardés com- me ‘de vieux almaiîachs , qui , quoique bons pour leur temps, ne valent mainte- nant plus rien. Tout ce qui a été avancé par les défenseurs des deux partis , aboutit à demander la même chose , c’est à-dire , une réunion avec la Grande Bretagne. Mais il y a une différence entre les deux partis sur la manière d’opérer cette réunion. L’un veut employer la force, l’autre l’amitié ; et il est arrivé que l’un a eu de nouveaux torts , et l’autre a retiré sa Bienveillance. Comme on a parlé beaucoup de réconcilia- tion , et tout cela s’est évanoui comme un songe agréable , et nous a laissés au même point où nous étions , nous allons exami- ner les argumens contraires et les prin- cipaux torts que souffriroit l’Amérique , en restant attachée à la Grande-Bretagne ou dans sa dépendance. Nous examinerons enfin cet attachement, cette dépendance , d’après les principes de la nature et du C2 <36) ^ : sens commun, et nous ferons voir ce que I nous avons à espérer en nous séparant de ; 1 l’Angleterre , et ce que nous devons en. J attendre en lui restant unis . 1 1 J’ai entendu dire à quelques personnes , que l’Amérique devant les commence^ns we sa prospérité à ses rapports avec l’Angle- | terre , la continuation de ces rapports étoit | nécessaire à son bonhenr à venir , et auroit I toujours le même avantage. Mais rien de | plus faux que ce raisonnement. Nous pour- j rions dire de même que parce qu un en- | faut a commencé à prendre sa nourriture avec du lait, il ne doit jamais manger de j viande, et que les vingt premières années I de notre vie , font une règle pour les vingt 1 suivantes. Mais la base même du raison- j nement n’est pas bien fondée ; car je sou- J tiens, moi , que l’Amérique n’auroit pas | luoiiis prospéré, ou auroit peut-être prospéré < davantage, si les puissances européennes n’avoient jamais rien eu à démêler avec elle. î Le commerce qui l’a enrichie, est fondé sur ; des objets de nécessité première , et on trouvera à les vendre aussi long*temps que ^ l’Europe aura besoin de manger. | Mais , diç-on, l’Europe nous a protégés. | ( 37 ) Oui : elle nous a mis sous sa dépendance^ et elle a défendu le continent à ses dépens et aux nôtres ; mais elle auroit aussi défendu la Turquie par les mêmes motifs, pour les avantages de son commerce et de sa puis- sance^ Hélas î combien les vieux préjugés nous ont séduits ! combien nous avons sacrifié ù la superstition ! Nous nous vantions de lia protection de l’Angleterre , sans considérer qu’elle ne nous protégeoit que pour son in- térêt et non par attachement; contre ses propres ennemis et non contre les nôtres ; contre ceux , enfin , qui ne nous haïssoient que par rapport à elle , et qui nous haïroient toujours pour la même raison. Que la Grande-Bretagne abandonne ses prétentions sur le continent, ou que le continent se- coue le joug de sa dépendance , et nous au^ Eons la paix avec la France et avec l’Es - pagne , quand ces deux puissances seront en guerre avec elle. Les malheurs de l 'Hanovre,, pendant la dernière guerre , doivent nous apprendre le danger de ces attachemens. On a avancé dernièrement dans le parle- ment d’Angleterre ,,, que les colonies n’a- voient de rapports entr’elles qu’à cause de ' c a V (38)^ ! la. iTiêr6-p3.triG ; c est-à^dirG j C|UG Ici Pcn” sylvanie , les Jerseys et les autres provinces j se regardoient comme sœurs , parce qu’elles < tenoient toutes à la Grande - Bretagne, j C’est certainement une maniéré bien singu- t lière de prouver une parente ; mais c en est | une bien simple de prouver de 1 inimitié. Ni [ la France , ni l’Espagne ne seront jamais nos ; ennemis , parce que nous sommes Ameri- j cains, mais bien parce que nous sommes su- | jets delà Grande-Bretagne . | Mais la Grande-Bretagne est, dit-on, j notre mère-patrie. Eli bien î sa conduite en est pins blâmable. Jamais les betes les plus 1 féroces ne dévorent leurs petits ; jamais les j sauvages ne font la guerre à leurs enfans. | Plus l’assertion seroit vraie , plus elle seroit j contre l’Angleterre ; mais elle n’est point | vraie , ou du moins elle ne l’est qu en P^’^" | tie. Le titre de mère-patrie a été jésuitique- , ment adopté par le roi et ses flatteurs | avec le dessein astucieux de séduire et trom- | per notre crédule foiblesse. | L'Europe , et non l’Angleterre, est la j mère patrie de l’Amérique. Le nouveau- monde a élé le refuge de tous les amis de la ^ liberté civile et religieuse, qu on persecu-| (39) toit dans Tanoîen. Ils ont fni dans ces cH- mats , non pour se dérober aux tendres^ embrassemens d une mère , mais aux cruau- tés d un monstre ; et c’est si vrai à Pégard de PAngleterre , que la même tyrannie qui poussa ici les premiers colons, y poursuit encore leurs descendans. Dans cette vaste partie du globe , noms ne nous resserrons pas dans les limites de trois cent soixante milles (i) , nous portons plus loin notre amitié ; nous prétendons à lafrateriiité de tous les Européens, et nous^ comptons sur le succès de nos généreux sentimens. Il est agréable d’observer avec quelle gradation nous surmontons la force deè préjugés nationaux , et nous nous familia- risons avec la connoissance du monde. Un homme né dans quelqu’une des villes d’An- gleterre , divisées en paroisses , se liera naturellement avec les gens de sa paroisse ^ dont les intérêts se rapprocheront souvent des siens , et il les appellera ses voisins, Sal en rencontre un à quelques milles duchés C’e&t Pé tendue de l’Angleterre C4 ( 4o ) îüi , il franchit les limites étroites du voi- sinage , et le saluera seulement comme son concitoyen : qu’il aille encore plus loin , il appellera ce même voisin son compa- triote , c’est - à - dire , habitant du même comté ; mais s’ils^joy agent en France ou en Italie , ils ne se reconnoîtront plus cpe pour Anglois. De même tous les Européens qui se rencontrent en Amérique, ou daais queD qu’autre partie du globe, sont compatriotes. Car l’Angleterre , la Hollande, l’ Allemagne, la Suède , cpmparées avec le reste du monde, sont sur une grande carte, comme des rues , des villes, des comtés sont sur une petite r distinctions trop bornées pour une ame continentale '.Nous n’avons pas, même dans; la Pensylvanie , un tiers d’habitans qui des- cendent des Anglois. Ainsi , je regarde que le titre de mère- patrie , qu’on donne a 1 An^ gleterre seulement, est mal iondé, partial, et fait tort à notre générosité. Mais en supposant que nous fussions tous d’origine angioise, qu'est-ce que cela voudroit dire ? Rien. L’Angleterre étant maintenant notre ennemie :y son inimitié efface tout autre nom , tout autre titre ; et; il est ridicule de prétendre que la reconcilia- (41) tîori est pour nous un devoir. Le premier roî de la Grande-Bretagne , de la race régnante, Guiliaume-le«^Conquérant, étoit François, et la moitié des [pairs d’Angleterre sont sortis de la France, Ainsi , d’après cette manière de raisonner , la France devroit gouverner l’Angleterre. t On a dit et écrit beaucoup de choses sur la force qui résultoit de Tunion de l’Angle-* terre avec ses colonies. On a prétendu qu’ensemble elles pouvoient défier le monde entier; mais c’est^une vaine jactance : le aort de la guerre est toujours incertain ; et d’ailleurs , le continent américain ne con- sentiroit jamais à s’épuiser d’hommes pour recruter les armées angloises en Asie, en Afrique , en Europe, D’ailleurs , qu’avons-nous affaire d’ins^ pirer de la défiance au reste du globe ? Nous ne devons nous occuper que du commerce, et en nous y appliquant nous nous assure- rons de la paix et de l’amitié de l’Europe entière ; car l’intérêt de l’Europe est que FAmérique soit libre et ouverte à tous ses vaisseaux. Ici le commerce sera toujours un génie protecteur ; et nos contrées , dépour-^ vues d’or et d’argent , ne tenteront point la. cupidité des conquérans. i ï (42) Je défie celui qui desîreT le plus une ré^ ] conciliation , de me montrer qu’il puisse désormais résulter aucun avantage de nos liens avec TAngleterre je le défie même de me montrer qu’il en soit jusqu'à présent résulté un seul. Notre Irled se vendra dans tous les marcliés de l’Europe , et nous paie- rons avec ses produits les mardiandisCvS qu’on importera , de quelque part qu’elles viennent. Mais les désavantages > les maux que nous souffrons de nos liens av^c l’Angleterre^ sont sans nombre et nos devoirs envers le genre humain , ainsi qu’envers nous-mêmes , nous prescrivent de nous affranchir de ces tiens. Toute dépendance à Fégard de la Grande- Bretagne, tout attachement pour elle^ nous entraîneroit dans des guerres continuelles avec des nations européennes, naturelle- nient disposées à rechercher notre amitié , et contre lesquelles nous n’avons à former aucune plainte particulière. Comme l’Eu- rope entière est un marché pour nous , nous n’avons pas besoin de nous unir ex- clusivement avec aucun de ses états. Le véritable intérêt de l’Amérique est de ne point se mêler des querelles de l’Europe; (43) au lieu qu’en dépendant de la Grande- Bretagne , elle seroit toujours le principal poids dans la balance de la politique an- gloise. Il y a trop de royaumes en Europe pour que la paix y dure long-temps ; et toutes les fois que l’Angleterre entre en guerre avec une autre puissance, le commerce de l’Ame- rique en souffre, par la seule raison que l’Amérique est liée avec l’Angleterre* La première guerre qu’aura l’Angleterre peut ne pas se terminer comme la précé- dente ; et si cela arrivolt^ certes , ceux qui prêchent maintenant pour une réconcilia- tion , seroient les premiers à desirer une séparation ; parce que nos navires mar- chands seroient mieux convoyés par la neutralité que par des vaisseaux de guerre. Tout nous commande donc de nous sé- parer, de la Grande-Bretagne. Le sang de nos guerriers qui ont succombé , la. voix de la nature alarmée , tout nous crie de la quitter. L’Amérique a été placée si loin de l’i^ngleterre , que cela seul semble prouver que le ciel n’a jamais voulu qu’elles fussent unies. L’époque même où le continent américain fut découvert, et la manière , < 44 ) dont îl fut peuplé , ajoutent aux raisons que j’avance. La réfomiation fut précédée par la découverte de l’Amérique , comme si le Tout-Puissant avoit voulu préparer un re- fuge à ceux qui seroient bientôt persécutés pour leurs opinions , et qui ne pourroient trouver cliezi.eux ni amitié , ni sûreté. L’autorité de la Grande-Bretagne est pour le continent une sorte de gouverne- ment despotique qui doit cesser tôt ou tard ; et un esprit réfléclii ne peut voir qu’avec peine que ce qu’on appelle la présente \J constitution,* est nécessa.irement tempovaîre. Comme pères, nous devons être très-affectés de savoir que ce gouvernement ne durera pas assez pour que nous soyons sûrs que nos enfans jouiront de ce que nous leur laissons; et, pour raisonner méthodique- ment , puisque nous endettons la généra- tion qui nous suivra, nous devons lui pré- parer les inoyens de s’acquitter ; autrement nous, aggravons nos torts. Pour bien con- noître toute rétendue de nos devoirs ^ nons- devrions prendre nos enfans par la main, et nous avancer un peu dans la carrière de la vie. De-là , nous jouirions d’un point de vue que nos craintes et nos préjugés nous, dérobent à présent.. f! ( 45 ) Qttolj^ue l’e sois bien éloigné de vouloir offenser personne , je ne puis m’empêcher de dire que tous ceux qui embrassent la doctrine d’une réconciliation , doivent être rangés dans les classes suivantes : d’hommes intéressés qui ne méritent aucune confiance ; d’hommes foibles qui ne savent pas voir ; d’hommes à préjugés qui ne veu- lent pas voir ; et de certains hommes mo- dérés qui pensent des Européens plus de bien qu’ils ne le méritent. Celle dernière classe , par ses jugemens erronés , fera sans contredit plus de tort à l’Amérique que les trois autres. Beaucoup de gens ont l’avantage de se trouver loin du théâtre de nos désastres : le malheur ne vient pas assez près d’eux , et ils ne sentent pas que dans l’état actuel des choses , l’Araériçain n’est nullement sûr de sa propriété. Mais transportons- nous un moment à Boston ; l’aspect des ca- lamités nous apprendra à être sages, et à renoncer aux liaisons d’une puissance dont nous devons à jamais nous défier. Les infor- tunés habitans de Boston , qui vivoient na- giières dans l’abondance, sont maintenant réduits à mourir de fidra j ou à aller men- (40 dier hors de leurs tristes murailles. Ils sont dans l’alternative de périr par le feu de leurs amis s’ils restent dans leur ville , ou d’être pillés par la soldatesque s’ils 1 abandonnent. Enfin, ils se trouvent prisonniers sans es- poir de délivrance ; et si on vient à lejrr secours , ils peuvent tomber sous les coups des deux armées opposées. Les hommes froids regardent avec trop d’indifférence les injustices de la Grande- Bretagne ; et espérant toujours un meilleur temps , ils sont prêts à s’écrier : « Allons , » allons , nous serons encore amis malgré » ce qui s’est parsé». — Mais considérez les passions de l’homme ; portez la pierre de touche de la nature sur la doctrine de la réconciliation , et dites-moi si vous pourrez jamais aimer , honorer , servir avec fidélité, une puissance qui a porté le fer et le feu dans vos champs? Si vous ne le pouvez pas , vous vous trahissez donc vous-mêmes, et vous préparez la ruine de votre prospérité. De nouveaux liens avec l’Angleterre , que vous ne pouvez ni aimer , ni honorer , se- ront des liens forcés , contre nature ; «t n’é- tant fondés que sur un moment de conve- nance apparente, ils vous rejetteront bientôt dans des maux pires que ceux que vous avez déjà souîï’erts. Mais si vous me dites que vous devez oublier les torts des Anglois , je vous de- manderai , moi , si votre maison a été brû- lée ? si vos propriétés ont été ravagées à vos yeux? si vos enfans n’ont point dé lit pour se reposer, ni de pain pour manger? si vous avez perdu un père ou un fils par les mains des soldats ? et si vous êtes le dernier de votre fiimille qui survive à ces désastres? — Si cela n’est pas , vous ne pouvez juger des sentimens de ceux qui ont éprouvé de pa- reils malheurs : mais si vous les avez éprou- vés , et que vous puissiez serrer la main des meurtriers, vous êtes à jamais indigne de porter le nom d’époux, de père, d’ami, d’amant ; et quelque soit votre rang, quels que soient vos titres , vous avez le cœur d’un lâche et l’ame d’un sycophaiite. Ce n’est point altérer , ce n’est point exagérer les choses , que de les soumettre à ces sentimens , à ces affections que la nature justifie, et sans lesquels nous sommes incapables de remplir les devoirs de la vie et de jouir de ses félicités. Je ne cherche point à inspirer de l’horreur pour pousser à ( 4S ) la veneeailcë ; mais je veux que nous nous i-é veillions d’un sommeil funeste , et que nous suivions enfin Un objet détermine. Ni l’A-ngleterre , ni l’Europe entière ne peuvent conquérir l’Amérique, si elle ne prépare pas elle-même sa conquête par ses délais et sa timidité. L’hiver actuel vaut pour nous un siècle , s’il est bien employé ; mais s’il l’est mal , tout le continent s’en ressentira ; et il n’est point de châtiment que ne mérite l’homme qui occasionnera la perte d’une saison si utile , si précieuse. La raison , l’ordre universel des choses , les exemples de tous les âges, nous prouvent que ce continent ne peut être long-temps soumis à une puissance étrangère. Le plus avantageux de tous les anglois ne peut le penser. Toute la sagesse humaine ne peut en ce moment tracer un plan qui, sans une sé- paration, garantisse au continent une année de sécurité ; la réconciliation n’est qu’un songetrompeur . La nature a rompu nos liens, l’art ne peut les réparer ; et comme dit sage- ment Milton : « Jamais une réconciliation » sincère ne peut naître là où les bles- I» surès d’une mortelle haine ont perce si i) profondément ». Tous (49) Tous les moyens de douceur , propres à 'rétablir la paix, ont été employés inutile- ment : nos prières ont été rejettées avec dé- dain, et n’ont servi qu’à nous -convaincre que rien ne flatte plus la vanité des rois , et n’accroît plus leur opiniâtre dureté, que les demandes qu’on leur fait. C’est même là ce qui a Ij^ plus contribué à rendre absolus les rois de l’Europe : témoins ceux de Danne- marck et de Suède. Pour Dieu! séparons- nous donc de l’Angleterre, puisqu’il le faut, et ne légùons point à d’autres la funeste né- cessité de répandre du sang sous les noms violés de père et de fils. Il y auroit de la folie à dire que l’Angle- terre ne tentera plus de nous opprimer. N’avons-nous pas été ainsi leurrés pendant un an par le rapport de l’acte du timbre ? Il vaudroit autant supposer que des nations qui ont été une fois vaincues , ne retourne- ront jamais au combat. Quant à notre gouvernement particulier, il est impossible que la Grande-Bretagne s en charge. Les affaires sont désormais trop importantes , trop difficiles pour être dans les mains d une puissance si éloignée de nous, et qui ignore nos vrais intérêts. D ( 5o ) D’ailleurs , si elle ne peut nous conquérir , elle ne peut nous gouverner. Faire deux mille lieues , avec un conte ou une pé* tition à la -main; attendre trois ou qua- tre mois pour en avoir la réponse , qui f quand on l’a , demande encore six mois pour être expliquée : tout cela doit , dans quelques années , être regardé comiiie une folie ou un enfantillage. Il fut un temps où cela convenoit : mais ce temps n’est plus. De petites îles, qui ne peuvent se défen- dre , doivent être protégées par d’autres états : mais il est vraiment absurde de vou- loir qu’un continentsoit à jamais gouverné par une île. La nature n’a point fiiit une planète moins grande que ses satellites ; et comme l’Angleterre et rAinéri([ue con- tredisent cet ordre de la nature , il est évi- dent qu’elles appartiennent à deux sys- tèmes politiques différens : l’Angleterre à l’Europe ; l’Amérique à elle- même. Ce n’est ni l’orgueil , ni l’esprit de parti , ni aucun ressentirrient' particulier, qixi me porte à embrasser la doctrine de la sépara- tion et de l’indépendance ; mais je suis bien certainement convaincu , au fond du cœur , que c’est le véritable intérêt de l’Amérique. (Si ) J e crois en outre , qu’un raccommodement seroit momentané, inutile, et n’auroit que des efiPets funestes ; que ce seroit mettre l’épée dans les mains de nos enfans ; que ce seroit enfin reculer, lorsqu’un pas de plus peut rendre ce continent la gloire du monde. Comme la Grande-Bretagne n’a pas té- moigné la moindre inclination à faire un traité , nous pouvons assurer qu’elle ne pro- posera rien que le continent puisse digne- ment accepter, ou du moins rien qui nous dédommage des trésors que nous avons dé- pensés, et du sang que nous avons versé. L’objet qu’on se dispute doit être toujours proportionné aux sacrifices qu’on faitXe ren- voi de lord North et de toute sa détestable clique , ne vaut pas les millions que nous avons dépensés. Une légère suspension de notre commerce auroit plus que balancé la révocation des actes dont nous nous plai- gnions , quand bien même cette révocation auroit eu lieu. Mais si tout le continent prend les armes, si chaque homme devient soldat, il est trop indigne de nous de combattre seulement contre un méprisable ministère. J^OUS la paierons bien chèrement l’abroga- Da ( '52 ) tion des actes , si ce n’est que pour cela que nous combattons ! Et en vérité , si nous ne combattions que pour cela , ce seroit une grande folie de nous être exposés à la défaite de Bunker’s - liill . D’après les ra- pides progrès de l’esprit qui règne dans le continent , j’ai toujours considéré son indépendance comme une chose qui ne pouvoit manquer d’arriver plutôt ou plus tard ; et certes , cet événement ne peut être éloigné. Il étoit donc inutile de prendre les armes pour un redressement que le temps de- voit nécessairement amener. G’est comme si l’on cherclioit à retirer /par un procès, une terre des mains d’un fermier dont le bail va finir. Personne ne desiroit une réconcilia- tion plus ardemment que moi , avant la fatale époque du 19 avril 1775(1); mais, du moment où j’ai appris les événemens de ce jour. . . . . . . ..... * ' • I ..... . Mais, en admettant que les choses se- roient maintenant arrangées , qu’en arrive- j-oit-il ? « — Quoi ? la ruine du continent; et cela par plusieurs raisons. (i) L’affaire de Lexington. C53) Premièrement , le pouvoir de gouverner demeurant toujours dans les mains du roi il auroit le veto sur toute la législation du continent; et il pourroit nous dire : « Vousv ne ferez d’autres loix que celles qui me plairont ». ~ Y a-t-il en éffet , dans toute l’Amérique , un seul habitant assez ignorant pour ne pas savoir que , suivant ce qu’on appelle la présente eonstitution y, le continent ne fait de loix que celles que le roi lui permet de faire ? Et y en a-t-il un assez peiv sage pour ne pas voir ^ d’après ce qui est arrivé , que le roi ne voudroit jamais consentir qu’on en fît qui ne lui coU'- vinssent pas ? Nous serions tout aussi en- través par le défaut de loix faites en Amé- rique y que par notre soumission aux loix qu’on feroit pour nous en Angleterre. Après, que les affaires seroient arrangées, cpmme on, le dit, peut-on douter que le ministère ne tînt ce pays dans le plus grand état d’hu- milité qu’il lui seroit possible f Au lieu d’a- vancer ^ nous rétrograderions , ou nous passerions notre temps à disputer et à faire de vaines pétitions. Réduisons les choses à un seul point. La; puissance jalouse de notre prospérité est- D*3 (S4) elle propre à nous gouverner ? Quiconque répondra que non , sera un indépendant; car indépendance ne signifie autre cliose que le pouvoir de faire ses loix , ou de nous séparer de l’Angleterre. Mais le roi , direz - vous , a la négative en Angleterre ; le peuple anglois ne peut faire ses loix sans le consentement du mo- narque. En vérité c’est une chose bien ri- dicule, qu’un jeune homme de vingt-mi ans , ainsi qu’on Ta vu souvent , puisse dire à plusieurs millions d’hommes , dont beau- coup sont plus âgés et plus sages que lui : Je ne veux pas que vous ayez telle loi :» que vous venez de faire Mais quoique cela me paroisse à jamais absurde, je veux bien ne pas m’en prévaloir. J’observerai seulement que la résidence du roi en Angleterre , et non en Amérique , rend la chose toute différente ; le vélo du roi est dix fois pins dangereux pour nous qu’il ne peut l’être pour l’Angleterre. En Angleterre, il ne refusera jamais un bill qui mettra le royaume sur un pied de dé- fense formidable ; mais il ne consentira jamais qu’un pareil bill passe pour nous, L’Amérique n’est qu’un objet secondaire (55) _ dans \e système de la politique angloîse. L’Angleterre ne songe à nos avantages qn’antant que ces avantages lui conviennent. Son propre intérêt la porte à diminuer notre prospérité , dans tous les cas où elle ne lui est pas profitable, et sur-tout si nous avons la moindre contestation| avec elle. Et à en juger d’après ce qui a déjà eu lieu , la jôlîé figure que nous ferions sous ce gouverne- ment secondaire ! Les hommes ne changent point de sentiraens en changeant de nom : et pour montrer que toute réconciliation avec l’Angleterre est une doctrine dange- reuse, j’affirme qu’il seroît en ce moment d’une adroite politique de sa part de révo- quer les actes, afin de pouvoir reprendre le gouvernement de ces provinces pour pouvoir ^ ensuite les tyranniser à son gré. Secondement , le meilleur accommode- ment que nous pourrions obtenir^ se bor- neroit sûrement à nous procurer quelques expédienSj ou une sorte de gouvernement protecteur , ou de tutelle ^ qui ne pourroit durer que jusqu’au moment où les colonies seroient en âge de majorité : ainsi , pendant tout ce tempsdà, l’état des affaires en gé- néral , resteroit incertain et inquiétant. Les D4 (56 J gens qui possèdent quelque fortune en Eu- rope^ se garderoient bien de venir s’éta>- blir dans un pays dont le gouvernement ne tiendroit qu’à un fil, et toujours prêt à être livré au désordre. Bien plus , beaucoup d’habitans de ce pays s’empresseroient de prendre des arrangemens pour profiter du premier moment favorable, et se retirer ailleurs. Mais le plus puissant de tous les argiimens^ c’est qu’une entière indépendance , c’est-à- dire , un gouvernement continental , peut seul maintenir la paix dans le continent, et le préserver des guerres civiles. Mainte- nant je redoute une réconciliation avec l’Angleterre ; parce que je suis bien sûr qu’elle seroit suivie de quelque révolte, dont les conséquences pourroient être plus funestes pour nous que toute l’inimitié des Anglois. La barbarie de cette nation a déjà ruiné des millions de nos compatriotes ; elle en ruinera probablement encore davantage. Ah I ces hommes ont d’autres sentimeus que nous qui n’avons rien souffert l Désor- mais ils sont libres. Ce qu’ils possédoient est sacrifié à cet avantage j et n’ayant plus Tien à perdre , ils dédaignent de se plier à la sonraisslohl Le goût des colonies pour îa mère patrie, ressemble à celui d un jeune homme prêt à être délivré de son tuteur : il lui tarde d’en etre debarrasse. Un gouvernement qui ne peut nous maintenir en paix, n’est point lin gouvernement; largent qu’il nous coûté est un argent perdit. Et dîtes-rnoî, je vous prie, ce que pourra faire pour nous l’An- gleterre, dont tout le pouvoir se borne à creer des actes, si quelQue querelle intes- tine suit le jour de notre réconciliation ? J’ai entendu plusieurs hommes , dont la plupait parlent sans réflexion; je les ai en- tendus , disqe, annoncer qu’ils craignoient notre indépendance , par rapport aux guerres civiles qu’elle entraîneroit. Il est rare que nos premières pensées soient justes, et c est ici le cas ; car on doit craindre dix fois plus que les guerres civiles naissent d’une mauvaise réconciliation que de l’in- depCndance. Je me mets à Ici pîaôe dé ceux qui ont éprouvé la cruâiité des Arigloîs , et je déclare que si j’avois été chassé de ma maison, sîj avois vu dévaster ‘mes proprié- tés et détruire ma fortune ', senéibîe à l’in- (58) jure comme je le suis, je ne pourrais ja- mais supporter la doctrine de la réconcilia- tion , ni ne me croirois obligé d^y adhérer quand elle triornpheroit. Les colonies ont si bien manifesté leur goût pour Tordre et pour la soumission aux loix , sous un gouvernement continental , que cela seul prouve que ce gouvernement fera le bonheur et la tranquillité générale* Personne ne peut le craindre; ou du moins ces craintes ne sont fondées que sur des motifs ridicules et puériles , comme , par exemple, de dire qu’une colonie cherchera toujours à obtenir la supériorité sur une autre. Là où il n’y a point de distinctions , il ne peut y avoir de ,supériprité : une égalité parfaite ne permet point Tenvie. Les repu^ bliques d© TEurope sont presque toujours en paix. La Suisse et la Hollande n’ont point de guerres étrangères , ni domes- tiques. Mais , d’un autre côté , les gou- vernemens monarchiques ne sont pas long- temps en repos : la couronne merne est un objet d’ambition pour les scélérats , et les porte à allqmer souvent des guerres ci- viles : et l’orgueil , Tinsolence qui accom- (59) pagnent les rois , leur occasionne des brouilleries avec les autres puissances , dans des occasions où un gouvernement républicain, toujours attaché à des prin- cipes plus naturels , cliercheroit à négocier èt n'eniploieroit que la douceur. La seule raison ^ peut-'être , qu’on ait de craindre rindépendance , c’est qu’on n’a encore aucun plan à cet égard. On ne voit pas la route qu’on doit suivre; mais je vais offrir quekjues idées sur ce sujet, décla- rant avec sincérité que je ne les estime moi-même que comme propres à en faire naître de meilleures. Si les idées éparses de beaucoup d’hommes sans prétention étoient recueillies, elles pourroient souvent servir de matériaux à d’autres hommes plus capables. Je voudrois que les assemblées de chaque colonie fussent annuelles et n’eussent qu’un seul président ; que la représentation fût plus égale ; qu’elles ne s’occupassent que des af- faires de leur province, et fussent soumises à l’autorité d’un congrès continental. Je voudrois que chaque coloaie^fût divi- sée en six, huit ou dix districts; que cha- que district envoyât au congrès un certain < 6o ) nombre de députés , de sorte que chaque colonie en fournît au moins trente. Le. congrès s’élèveroit alors à 390 membres. Il siégeroit à et choisiroit son président: de la manière suivante : quand les députés seroient tous réunis, ils tireroient au > sort une des treize colonies. Après cela tous lea membres ballotteroient et nommeroient par scrutin un des députés de la province ^ que, sort auroit favorisé. Le congrès suivant , on ne tireroit au sort la colonie , qui devroit fournir le président,, que parmi douze , en excluant celle qui eu auroit déjà eu un; et on continueroit ainsi jusqu^à ce que les treize colonies eussent eu leur tour à la nomination : et pour que jamais on n’admît aucune loi qui ne fût bien juste, la majorité du congrès devroit être formée des trois cinquièmes. Celui qui, sous un gouvernement aussi égal, pourroit occasionner de la discorde, seroit sûrement disne d’avoir aidé Lucifer dans ses noirs* O complots. Mais comme on doit savoir aussi par qui,, et de quelle manière commencera tout ce que je propose , il est nécessaire de nom'* mer d’abord un corps intermédiaire , une ( ) CONFÉRENCE CONTINENTALE , COmme HOUS allons l’expliquer. Il faut nommer un comité de vingt-six membres , c’est-à-dire , de deux membres par colonie ; deux membres de chaque assemblée ou convention provinciale, et de gouvernement propre à produire la, y* plus grande somme de bonheur indivi- duel , et qui en même temps coûteroit le » moins (j) ». Mais, disent quelques personnes, où est le roi de l’Amérique ? Je vais vous le diré, amis. Il règne dans le ciel, et il ne lait point égorger les hommes. Mais puisqu’on aime les honneurs , les solemnites , choisissons un jour pour pro- clamer notre charte. Qu’on l’élèye et la place sur le livre même qui contient la pa- role de Dieu ; qu’a! ors on mette une coui ronne au-dessus, et que le moi^^e^apprenne quel’Amérique aime tellement lamonarchie, qu’elle a choisi la loi pour roi. i Dans les gouvernemens absolus , le roi est la loi ; mais dans un pays libre , la loi .seule doit régner, et nous ne voulons pas d’autre roi. Cependant, de peur d’accident, il faut qu’à la fin de la cérémonie, dont je viens de parler, la couronne soit brisée, et qu’on abandonne ses débris au peuple à qui elle appartient de droit. (i) Dragonetti , de la vertu et des récompenses. ( M ) Nous avons ïindroitnaturel ànous creetuït gouvernement. Quand on réfléchit sérieuse- ment sur Fincertitude des choses humaines, on est convaincu qu’il est infiniment plus sage d’établir, en ce moment, notre côns^ titution , que de remettre au temps et au hasard le soin de la faire. Si nous ne pre- nons pas ce parti , il peut s’élever quelque Mazaniel (i) , qui , profitant des méconten- temens et de l’inquiétude du peuple , ras- semble tous ceux qui désireront un chan- gement, et détruise pour jamais la liberté de l’Amérique. . Si le gouvernement de ces contrées re- tomboit dans les mains des Anglois, il n’est pas douteux que l’instabilité de ce gouv^er- nement ne déterminât bientôt quelqu’aven- turier courageux à tenter la fortune ; et dans ce cas , de quel secours nous seroit l’Angleterre ? Nos malheurs seroient con- sommés avant qu’elle en eût la première (i) TKomas Anello, ou Mazaniello , pêcheur napo- litain , lou lazaroni , fit , dans le marché de Naples , révolter ses camarades contre l’oppression des Espagnols, qui y comniandoient j chassa le gouverneur , et le même jour se déclara roi. nouvelle ; t^5) iîohvèlle ; et eii attendant nous gériiirîoliSj ainsi que les anciens Bretons , sous l’op^ pression du conquérant. Vous , qui , en ce moment, vous opposez à la déclaration de notre indépendance, vous ne savez point ce que vous faites. Vous ouvrez la porte à une tyrannie éternelle. ' Des milliers d’Américains croient, avec raison, qu’il seroit glorieux de chasser du Continent la puissance infernale et barbare , qui arme contre nous les Indiens et les Nègres ; puissance doublement criminelle , puisqu elle est inhumain e envers nous , et perfide envers ceux qu’elle emploie. Comment parler d amitié à. des gens en qui la lalson nOus defend d’avoir confiance, et que nos cœurs blessés de mille manières ne peuvent que détester ! Le vouloir seroiü Une folie. Chaque jour efface les foibles restes de parente entre noiis et l’Angleterre. 1 eut-on donc esperer qu’à mesure que les liens du sang diminuent, la tendresse aug- mente ? Nous accorderons - nous mieux, enfin , quand nous aurons encore plus de sujets de mécontentement ? Vous, qui nous parlez de réconciliation et d’harmonie*i pouvez-vous renouveller le E (66) temps passé? pouvez-vous rendre à la dé- bauche son innocence perdue ? Non ; et vous ne pouvez pas davantage unir 1 Angleteirçet l’Amérique. Les derniers liens sont rom- pus; le peuple an glois présente des adresses contre nous. Il est des injnres que la nature *ne pardonne jamais ; et si elie les pardon- noit, elle cesseroit d’être nature. L’Amérique ne sait pas plus pardonner aux meurtriers angloisqui l’ont ensanglantée, qu’un amant passionné ne pardonne au ravisseur de sa maitresse. L’Eternel même a gravé en nous ces sentlinens ineflaçables , et ses desseins j sont toujours sages. i Ce sont ces sentimens, qui conseryent son^ i image dans nos cœurs , et qui nous distm- j guent des brutes. L’ordre social seroit de- | truit, la justice bannie de la terre , ou du j moins elle n’y seroit que fpiblement connue,^ si nous restions insensibles à toute affec- tion ; et le voleur, le meurtrier ne seroient pres’que jamais punis , si nous étions insen- sibles à l’injure. O vous , à qui le genre humain est cher . i vous qui osez vous opposer non-seulement à | la tyrannie, à la fourbe.... Courage ! chaque l coin du vieux monde est cquvert par 1 op- ; (67) pression. La liberté a été poursuivie partout le globe. L’Afrique et l’Asie l’ont dès long- temps repoussée. L’Europe la regarde comme étrangère , et l’Angleterre lui a commandé de s’éloigner. Recevez donc la fugitive , et préparez, pendant qu’il en est temps, un asyle au genre humain. # I (<58) CHAPITRE IV. JDes ressources de V Amérique^ Réjlexions diverses. Je n’ai jamais en Angleterre , ni en Amé- rique , -vu d’homme qui ne soit convenu que ces deux états se sépareroient tôt ou tard; et nous n’avons jamais montré moins de jugement, que lorsque nous nous sommes * efforcés de prouver que le continent étoit mûr pour l’indépendance, puisque c’étoit inutile. Tout le monde convient bien qu’une sépa-' ration doit avoir lieu : mais on ne s’accorde pas sur le temps. Essayons donc d’écarter les erreurs. Jettons un coup-d’oeil général , sur l’état des choses, et tâchons de iixer, s’il est possible, le vrai moment d’une sépa- ration. Mais nous n’avons pas besoin d’aller bien loin : nous sommes arrêtés dans nos recherciies ; car le temps nous a surpris. La concours , l’accord de tout ce^..qui peut favoriser ce grand événement , prouvent cette vérité. Notre farce ü'est point dans le nombre des Américains , mais dans leur union ; • et cependant nous sommes déjà en assez grand nombre pour repousser le monde entier. Le continent a, en ce jour, l’armée lapins nombreuse et la mieux disciplinée de la terre. Ses forces sont telles , qu’aucune colonie seule , il est vrai , ne pourroit se défendre elle-même , mais, que toutes réu- nies peuvent parfaitement assurer leur in- dépendance. Ses forces sont tout ce qu’il lui faut : plus ou moins seroit également dangereux. Nos armées de terre sont donc suffisantes. Quant a nos armées navales, nous savons assez que tandis que l’Angleterre no%s a gouvernés, elle n’a jamais permis que nous pussions construire un seul vaisseau de, guerre ; et si elle nous gouvernoit encore . nous ne serions pas dans cent ans plus avancés que nous ne le sommes aujourd’hui. Ce qui fait que nous le serions même moins, c’est que le bois de construction dimi- nue tous les jours davantage , et que ce qu’il en restera par la suite , sera rare , éloi- gné et difficile à charrier. Si le continent étoit très-peuplé , les cir- constances actuelles rendroient les maux E 3 ( 70 ) de ses habltans insupportables. Plus nou^ aurions de villes maritiines, plus nous au- rions à défendre et à perdre. Notre popu« lation est tellement proportionnée a nos besoins actuels , qu aucun de nous ne peut rester oisif. La cessation de notre commerce nous a créé une armée , et les besoins de cette armée ont fait naître un nouveau genre de commerce. Nous n’avons point de dettes , et si nous sommes obligés d’en contracter , elles se- ront des monumens glorieux de nos vic- toires.^! nous léguons à nos enfans un gou- vernement sur une constitution indépen- dante , quelque prix que ce bien nous coûte , nous ne l’aurons pas trop chèrement acheté. Mais dépenser des millions , pour se borner à voir révoquer quelques actes , à dis- puter vainement contre le ministère, ceseroit une folie , une cruauté , que la postérité au- roit droit de nous reprocher ; car nous lui lais- serions non-seulement à combattre pour son indépendance , mais tous les embarras d une dette. Une telle idée est indigne d’hommes d’honneur , et elle ne peut plaire qu a des cœurs insensibles et à des esprits bornes, îios dettes ne méritent pas noire attention, si nous r'éü'ssîssons daris notre erande entre- prise. Il n’y a point de nation qui n’ait de dettes. Une dette nationale est un contrat avec soi-mâme ; et quand il ne porte point d’intérêt, il ne grève .point. L’Angleterre est chargée d une dette de plus de cent cin- quante millions sterling, pour laquelle elle paie plus de 4 niiliio’ns sterling d’intérêt. Pour compensation, elle a une nombreuse marine. L’Amérique est sans dette et sans marine ; mais pour la vingtième partie de !a dette des Angiois , elle peut avoir une ma- rine plus belle que la leur. La marine an- gloise (iqne vaut pas, en ce moment, plus de trois millions et demi sterling. Les deux premières éditions de ce pam- phlet ont été publiées sans les calculs; sui- vans , qui donneront une preuve de la jus- tesse de moli observation (2). La construction d’un vaisseau , la four- niture des mâts , vergues , voiles , agrès , avec huit mois d’avitaillement , peur ce qui est sous rinspectîon des charpentiers et des bossemàns , a été calculée, comme je le transcris , par M. Burchett , secrétaire de l’amirauté. (1) On ne parle ici que de la marine royale. (2) Voyez l’histoire navale d’Entic, introd. pag. 56. 35,553 1. at. 2^5886 23,638 17,785 14,197 iq,6o6 5,846 3,710 Pour un vaisaeau de on péut calculer D’après toute la valeur de la marine royale d’An- gleterre , qui, en lydy, au plus haut point de sa aloire , consistoit , savoir : Prix d’un vaisseau, 35,5531.st. — 29,886 — 23,638 — ■ Totaux. 2i3_,3i S 358,632, 283,656 764,755 496,895 434,340 340, 1 1 Q 2i5,i8o Vaisseaux. Canons. 85 Sloops, Bombar- dières , Canon- nières, etc. • l’ün dans rantrç...., 170,000 Bçst ç pour canons 3, 500^000 1. St. ( 7^ ) Nul pays n’est aussi heureusement situé et aussi bien pourvu pour avoir une ma- rine que l’Amérique. Le bois de construc- tion, le goudron , le fer , le chanvre se trouvent chez nous. Nous n’avons besoin d’aller rien chercher au dehors , pendant que les Hollandois , dont une des branches du commerce est de louer des vaisseaux de guerre aux Portugais et aux Espa- gnols , sont obligés d’aller acheter dans le nord, les objets qui leur servent à les cons- truire. Nous , nous devons regarder aussi la construction des vaisseaux comme un, objet de commerce, puisque la nature a tout préparé chez nous pour cela. C’est la meilleure manière de placer notre argent. Une escadre sur pied vaut plus qu’elle ne coûte ; et en bonne politique c’est un de ces moyens dans lesquels les avantages du com- merce et la force nationale se trouvent réunis. Construisons donc une escadre : si elle nous est inutile , nous la vendrons , et de cette manière nous troquerons notre papier continental contre de l’or et de l’argent. L’on est en général dans une grandè er- reur sur la manière dont on croit ^u’on doit î 74? armer rmê esçâdje. Il ne faut pas que la qûataêiîië partiè clës équipages soient matelots. Le ëdrsaire lé Terrible , càpitàînè Death, soutint, pendant la dernière guerre, ië jolus sanglant cbmbat sans avoir vîngl: rhatèlots à son bord q et cependant Téqui- p^gè étoit de plus de deux cents hommes. Un p^it âmubré de b‘dhs marihs aura Bientôt înstinà.ità là manceuvffe ordinaire les liabitahè vigourëui des campagnes. Nous sommet d'antàât plus pressés de nous occuper de cet objét > que hos[ bois' de cohstimctr^^ sont èiîcÔTfe dà , nos' pêcheriës bloquées, et nos màteldl^ ét nés charpentiers désœuvrés. Il y a cfudrSâtë Uns qu’on coristruisoit à là N6uŸelle^^'Ah|^ des yaisseaiix de soi- xàhte-dii: éf ^dé" qü canons : poür- qüôi n’éh fenons - pas de - même aujourd'hui:'?-- ' Lâ'ëôhstrucfldh des vaisseaux est la gloire de F'AMérîqiië ; et dans cet ,art, elle doit lin jour " surpasser lé reétë-du mondé. Lés Taëtéë éiS-^irëT de rOrïént sont daiis l'iiité- rieUr '^dés éerres , et ne peuvent jamais nous rivaiiseiu L’Afrique reste toujours dans son état de barba:rië ; et aucune puissance eiiro- péenhdii'^iiilé^aussîgrande étèndue de côte& et autant de matériaux dans son intérieur. Là nature n a donne une de ces choses à nn pays qu’en lui refusant l’autre ; mais ayec l’Amé- rique elle a été magnifiquement libérale. La mer est presqu’entiérement fermée à la Russie ; et les bois , le goudron ^ le fer , le chanvre de cet immense empire ne sont pour ses habitans que des objets de com- merce. Si nous songeons à notre sûreté, de- vons-nous rester sans une escadre ? Nous ne sommes plus le petit peuple qui habitoit ces contrées il y a soixante ans. Alors nous pouvions laisser tranquillement ce que nous possédions dans les rues , dans* les champs ; nous pouvions dormir sans mettre de ver- roux a nos portes , ni à nos fenêtres ; mais les temps sont changés , et nos moyens dé défense doivent croître avec nos propriétés. Le moindre pirate auroit pu , il y a un an , remonter la Delaware ^ et mettre à contri- bution la riche viile de Philadelphie , ou tout autre. Que dis-je ? mi seul corsaire de quatorze ou quinze canons eût suffi pour dcsoler le continent, et emporter un demi- million d’argent comptant. — Tout cela exige une sérieuse attention de notre part ; (76) tout cela nous prescrit d'avoir une escadre pour nous protéger. On dira peut-être que quand nous nous serons arrangés avec l'Angleterre , elle nous protégera. Pouvons-nous donc être assez fous pour croire qu’elle laisseroit jamais un vaisseau dans nos ports pour ce seul des- sein ? Le sens commun nous dira que la puissance qui a voulu nous soumettre , est la moins propre à nous défendre. Sous l’ap- parence de l’amitié , on cherclieroit à nous conquérir; et, après une longue et courageuse résistance , nous nous trouverons, par la ruse, réduits à l'esclavage. Et si les vaisseaux anglois ne sont pas reçus dans nos ports, comment pourront-ils nous protéger? Une marine qui se tient à trois ou quatre mille milles , est de peu de secours; et dans les. cas pressans , elle ne sert de rien du tout. Mais si nous devons être protégés^ pour- quoi ne pas nous protéger nous-mêmes ? pourquoi attendre ce bienfait d’un autre ? La liste .des vaisseaux de guerre anglois est longue et formidable ; mais jamais la dixième partie n’est en état de service, plusieurs même n'existent plus ; mais s’il en t'este encore une planche , leurs noms « (77) . Côntînliént à être pompeusement inscrits sur la liste. La cinquantième partie de ceux qui sont en état de servir , ne peut être envoyée à la fois dans un même lieu. L’Inde, les Antilles , la Méditerranée , la côte d’A- frique, tous les pays, enfin, où la Grande- Bretagne a des prétentions, exigent qu’elle y envoie des vaisseaux. Bar inattention autant que par préjugé, nous avons de fausses notions sur la ma- rine angloise* Nous en parlons comme sî nous avions à la combattre toute à la fois ; et nous croyons, d’après cela, qu’il nous en faudroît avoir unfe toute aussi forte à lui opposer ; et comme cela n’est pas tout de suite piaticable , nous avons ete découragés de commencer à en construire une , par les conseils d une foule de torys déguisés. Mais loin d avoir besoin d’une marine aussi considérable que celle d’Angleterre, si lAmeiique a voit seulement le vingtième des forces navales britanniques, elle se- roit en e^at de la vaincre , parce que n’avant, ni ne voulant avoir aucune possession etiangere, toutes nos forces seroient erri- ployées sur nos côtes ; et nous aurions d’au- tant plus d’avantage, (jue nous combattrions un ennemi, qui feroit trois ou quatre mille milles pour venir nous attaquer , et pour aller .ensuite se radouber. Si, par sa marine , TAngleterre arrête notre commerce avec l’Europe , nous pou- vons gêner le sien avec les Antilles, qui, - placées près du continent, sont absolument | à notre merci. | Si on ne vouloit pas entretenir des vais- î s'eaux de guerre en temps de paix , on pour- roit trouver quelque manière d’en avoir sans qu’ils fussent aux frais de la nation. On pourroit donner des primes à des marchands, qui employeroient des vaisseaux de vingt, trente, quarante, cinquante canons, et ces primes seroient en proportion du nombre des canons de ces vaisseaux. Alors cinquante ou soixante vaisseaux de cette force , avec quelques garde-côtes , formeroient une ma- rine suffisante , sans que nous eussions à supporter aucun fardeau , et sans l’incon- vénient dont on se plaint tant en Angleterre, c’est-à-dire , de voir les vaisseaux pourrir dans les ports pendant la paix. Unir les avantages du commerce et ceux d’une dé- fense importante ^ est une sage politique. Tant que nous employerons nos forces et ( 79 } nos ricîiesses à npus, défendre, nous n’a pas à craindre d’ennemi étranger. ‘ Nous avons en abondance prês.q les objets nécessaires a notre d,ef chanvre crôît dans nos champs'avec •grande facilité .- ainsi nous ne manquerons pas de cordages. Notre fer estfsupéfiéur à celui dés autres pays. Nos petites armes sont les meilleures du monde. Nous pouvons aisément fondre des canons. Le salpêtre et la poudre ne nous manquent pas. Nos con- noissances croissent tous les jours. La fer- meté fait la base de notre Caractère , et le courage ne nous a jamais abandonnés. Que nous faut-il donc de plus ? Pourquoi hési- tons-noüs ? Nous n’attendons de la Grande- Bretagne que de l’oppression. Si nous lui' rendons le gouvernement de ces contrées , elles cesseront dès^- lors d’être liabitables. Des jalousies, des haines , des insurrections se manisfesteront sans cesse ; et cpui entre- prendra de les appaiser ? Qui voudra expo- ser sa vie ponr réduire ses compatriotes à une servile obéissance ? Les différends survenus entre le Connecticut et la Pen- sylvanie , pour quelques terrelns inoccu- pés, montrent l’incapaçité du gouvernement (8o) anglols , et prouvent évidemment qu*uné autorité continentale peut seule régler les affaires du continent. Ce qui fait voir encore que le moment actuel est préférable à tous les autres pour assurer notre indépendance , c’est que nous avons peu de population, et qu’il nous reste beaucoup de terres vacantes; et que ces terres , au lieu d’être concédées par le roi à ses indignes courtisans, seront employées par nous, non-seulement à l’acquittement de nos dettes , mais à l’entretien du gou- vernement. Nulle autre nation au monde n’a un pareil avantage. L’état d’enfance des colonies, comme on veut bien l’appeller , loin d’être une raison contre leur affranchissement , est ce qui le favorise le plus. Nous sommes en assez grand nombre , et si nous l’étions davantage, peut- être serions -nous moins unis. Une chose • bien digne d’attention , c’est que plus un pays est peuplé, plus ses armées sont petites. Les armées des anciens etoient bien plus nombreuses que celles des modernes. La raison en est, que la grande population exigeant qu’une nation s adonne au com- merce, les hommes ne peuvent presque plus, dès-lors , / dfes-lors, s’occuper d’autre chose. Le com- merce éteint l’esprit militaire , même le pa- triotisme. L’histoire nous montre assez que c est dans l’enfance d’une nation que ses plus courageuses entreprises ont été exécutées. A mesure que le commerce de l’Angleterre augmente ^ son courage se perd. Londres, Si peuplé , est exposé à des insultes conti- nuelles , et les supporte avec une patience lâche. Plus les hommes ont à perdre , moins ils osent hasarder. Les riches sont en géné- ral dévorés de craintes , et ils se soumettent au pouvoir de la cour, avec la tremblante dr plicité d’un chien barbet. La jeunesse est pour les nations comme ]>:uir les individus le moment de prendre de bonnes habitudes. Dans cinquante ans , il scioit très-difficile, peut-être même impos- êii)!e, de soumettre le continent à un gou- vernement. La diversité des intérêts , au pas nous plaindre (ï) , il est affreux que 55 vous la distinguiez de ce prince qui , d’un 55 seul mouvement de sa tête , régloit toutes 55 ses actions n. ' Voilà le torysme dans toute sa force l voilà une idolâtrie sans masque ! Celui qui peut ecouter froidement une pareille doctrine, a perdu le droit de se dire un être raisonn able ; il renonce au titre d’iioitime, et n’est qu’un lâche qui a oublié sa dignité naturelle pour ramper avec mépris comme un vermisseau.' Désormais le devoir de l’Amérique est de pourvoir à ses propres besoins. Elle a une jeune et nombreuse famille qu’elle est obligée de soigner , au lieu d’employer son bien à soutenir une puissance qui est l’opprobre du genre humain et du nom chrétien. O vous ! dont l’emploi est de veiller (i) Il fait aiiusioii au marquis de Rockiiigliaiiij et à la révocation de Pacte du timbre. (93) sur les mœurs et la morale de la nation , de quelque secte que vous soyez ; et vous aussi, qui ête5 plus immédiatement les gar- diens de la liberté publique ; si vous desirez de conserver votre pays natal exempt de la corruption européenne , vous devez en secre|;^ souhaiter son indépendance. Mais en laissant l’intérêt de la morale aux ré- flexions particulières, je me bornerai ici à quelques remarques. D’abord , je démontrerai que l’intérêt de l’Amérique est de se séparer de la Grande- Bretagne. Ensuite, je discuterai quel est le plan le plus raisonnable d^une réconciliation ou de 1 indépendance ? Puis j’ajouterai quelques réflexions. A Pappui du premier principe, je pourrois, si je le voulois, citer l’opinion des hommes les plus savans et les plus sages du conti- nent, et dont les sentimens sont déjà assez connus. Notre position seule prouve évi- demment que nous devons nous gouverner nous-mêmes. Jamais peuple qui languit sous une domination étrangère , limité dans son commerce et enchaîné dans sa législation , ne peut parvenir à un haut degré de pros- (94) pérîté. L’Amérique ne sait pas encore cé que c’est que l’opulerice. Quoique les pro- grès qu’elle a déjà faits n’aient rien de com- parable dans riiistoire des autres nations, ce n’est pourtant encore rien auprès de ceux qu’elle auroit pu faire , si son gouvernement avoit été dans ses propres mains. L’Angleterre trame orgueilleusement, au- jourd’hui, des projets qui iie seroient d’au- cun avantage pour elle-même, quand bien même elle réussiroit à les exécuter ; et le continent hésite sur un objet dont la perte fera sa ruine totale ! Ce n’est pas la conquête de l’Amérique , c’est son commerce qui doit être avantageux à l’Angleterre ; et ce com- merce continueroit en grande partie quand rAméricpie seroit aussi indépendante de l’Angleterre , que la France l’est de l’Espa- gne ; parce que nous avons mutuellement beaucoup d’articles qui ne peuvent pas trouver de meilleur débouché. Mais le seul objet qui doive nous occuper en ce moment, c’est 'd’être indépendans , non-seulement de l’Angleterre, mais de tout autre pays; et cette vérité, semblable à toutes les autresf en sera mieux démontrée chaque jour , pan l’expérience et par la nécessité. fremierement^ nous serons îndépenclans itn jour ou Tau tre. Secondement, plus nous tarderons à as- surer notre indépendance , plus la chose deviendra difficile. Je me suis souvent amusé, tant dans les assemblées publiques que dans les sociétés particulières , à écputer en silence les propos erronés de ceux qui parlent sans réflexion. J’ai entendu beaucoup d’assertions fausses : mais une des plus généralement répandues, c’est que si le continent attendoit quarante ou cinquante ans de plus pour dédarersôn. indépendance , il seroit bien plus en état de la soutenir. A cela je réponds que l’esprit guerrier, l^es connoissances militaires que nous avons acquises pendant la dernière guerre , au- roient disparu dans cinquante ans. A une époque si reculée il ne nous resterolt pas un général, pas même un seul officier; et ceux qui viendroient après nous, seroient aussi ignorans dans l’art militaire que les premiers Indiens, Si on y réfléchit bien , cette seule circonstance prouve sans répliqué qim pour nous affranchir, ce moment - ci est préférable à tout autre. A la conclusion (90 tle la dernière guerre , nous avions pour BOUS Texpérience, mais nous manquions dliommes ; et dans quarante ou cinquante ans , nous aurions bien des hommes , mais nous manquerions d’expérience. Le vrai point à saisir est donc entre les deux ex- trêmes , lorsqu’il reste assez d’expérience et que le nombre des hommes est accru ; or , ce point est le moment actuel. Mes lecteurs me pardonneront cette di- gression ; elle ne devoit pas naturellement se trouver dans l’article que je traitois : mais je retiens à cet article. Si nous nous raccommodions avec les Anglois , et qu’ils reprissent le gouverne- ment et la «souveraineté de ce pays-ci^ ( ce qui au point où en sont les choses seroit renoncer à tout,)nousnous priverions de tout moyen d’acquitter les dettes que nous avons déjà contractées. Les terreins de l’intérieur, dont quelques provinces ont été injustement dépouillées par l’extension des limites du Canada, estimés seulement à cinq livres sterling les cent acres , s’élèvent à plus de vingt-cinq millions^ argent de Pensylvanie, dont la rente , à un sou sterling par acre , vaut deux millions par an. C'est payér toiites les .Î1 ne s'agît pDint de savoir ferres acquittée t la rente rëserv pour du gouvernement. Î1 Coiiibieti il faudra de téinps polir q^iie la dette soit acquittée; mais bien d’être sûr qüd le prix des terres vendues sera appliqué â l'éteindre ; et pour cela , il faut qüë le côn^ gr<;s meme Soit le dépositaire des fonds. tT’en viens màintena.nt an second articlés Quel est le plan le plus piiaticable d 'üiié ré- conciliation ou de rindépendancè ? Celui qui choisit la nature pour son guider est bien fort dans sès argumens. Ainsi je réponds que l’twnÉPENDAUCE est la voie la plus simple et la seule qui nous convienne ^ et que d un autre côté , là réconciliation de- renant compliquée ^ difficile^ et nous mêlant encore avec une cour perfide , cette diffé- rence donne , sàns aucun doute j la solution du problème. Quiconque réfléchit doit être alarmé de rétàt actuel de l’Amérique. Ejle se trouve sans loix j sans gouvernement , sans autre mode de pouvoir que celui qui est fondé sur une certaine civilité, et maintenu par un con- G ( 9? ) cours inouï de sentimens qiü , peuvent mal- heureusement changer , et que plus d’un, ennemi secret s’efforce de détruire. Notre, condition présente est donc législation sans loix, sagesse sansplan, constitution sans nom, et ce qui est singulièrement étrange , par-r faite indépendance s’efforçant de devenir dépendante. Le cas, est sans exemple : il n’a- voit jamais existé, et personne ne peutpré- dire quelle en sera la suite. Dans cet état de choses , personne n’est assuré de sa pro- priété. L’esprit de la multitnde flotte au ha-j sard ; et ne voyant rien de fi^e , il est tou- jours prêt à embrasser toutes, les opinions. Rien n’est réputé criminel il‘ n’exi§te point de trahison; et d’après cela , chan cun se croit en droit d’agir à sa. fantai- sie. Les torys ne se seroient pas assem- blés pour, nous faire la guerre s’il y avoit eu .une loi de l’état qui le leur eût défendu sous peine de la vie. Il devroit y avoir une distinction entre les soldats anglois ^que nous prenons,» et les Américains qui, sont attrapés les armes à la main. Les premiers ne sont que des prisonniers de guerre; les seconds sont des traîtres. Les uns risquent leur liberté; les autres leur tête. 99 ) Malgré toute notre sagesse , il y a dans üos procédés une foibiesse évidente qui encourage nos dissensions. Le lien du con- tinent est négligemment noué ; et si une tentative n’est pas faite à propos, il sera trop tard pour tout le reste , et nous tom- berons dans une crise où ni la ' récon- ciliation , ni l’indépendance ne se- ront plus a notre choix. Le ministère et ses perfides agens ont repris leur ancienne méthode de diviser le continent ; et il ne manque pas parmi nous d’imprimeurs empresses • de répandre; le mensonge. La lettre artilicieusemt hypocrite qui parut, il y a quelques mojs^ dans deux des principales gazettes de New.yorck, et dans deux autres papiers - nouvelles du continent, est une preuve qui! y à ■ des gens qui n’ont ni honnêteté , ni jugement. Il est aise; de se nicher dans un coin de gazette , et de parler de réconciliation ; mais les gens qui agissent ainsi ont- ils sérieuse- ment considéré combien cette réconciliation est difficile , et de quel danger elle seroit SI elle oCcasionnoit une division dans le continent?. Ont - ils considéré ce nombre prodigieux d’hommes , dont les intérêts di- G a ( loo ) vers et la situation ne méritent pas moins d’égards que les leurs propres? Se sont- ils mis à la place de l’infortuné qui a tout perdu ? du soldat qui a tout quitté ? Si leur inepte modération n’est calculée que d’a- près leur situation particulière; s’ils sont sans pitié pour les autres , l’événement letir apprendra qu’ils comptent sans leur hôte. Remettez - nous , disent quelques per- sonnes y remettez-nous comme nous étions en 1763. A cela je réponds que cela n’est pas maintenant au pouvoir de l’Angleterre, et qu’elle est loin de le vouloir. Mais si la chose étoit possible , et qu’elle le voulût ^ je croirois pouvoir raisonnablement de- mander par quels moyens on lieroit à ses engageinens une cour infidelle et corrom- pue ? Un autre parlement , que dis-je ? le parlement actuel - pourroit manquer à ses promesses, en disant qu’elles avoient été forcées et imprudemment accordées. Alors, qui nous feroit rendre justice ? Il n’y a point de tribunal entre les nations : le canon est le seul avocat des rois ; et le glaive , non celui de la justice , mais celui de la guerre, le glaive seul juge le procès. ( loi ) D ailleurs J pour être comme nous étions en 1763, il ne suffit pas que les anciennes lois soient rétablies , niais que nos fortunes le soient aussi. Il faut que nos villes sacca- gées et incendiées soient rebâties ; nos pertes particulières réparées, notre dette publique acquittée : autrement nous serions cent fois pire que nous n’étions à cette heu- reuse époque. Si on nous avoit fait cette proposition, il y a un an, les Américains y aui oient adhéré de tout leur cœur : mais a présent il est trop tard ; le rubicon est passé. En outre , n’avoir pris les armes que pour la simple révocation d’une loi pécuniaire , est aussi condamnable aux yeux de la Divini- té , et répugne autant au cœur de l’homme , que de les prendre contre nous pour renfor- cer notre servitude. L’un n’est pas plus digne que 1 autre d une pareille mesure ; car la vie des hommes est trop précieuse pour qu’on l’expose pour de vains projets : mais les violences que nous avons éprouvées et dont nous sommes encore menacés, la des- truction de nos propriétés, le fer et la flamme ravageant nos campagnes : voilà ce qui nous justifie d’avoir pris les armes. G3 C 102 ) A l’instant même où cette mesure est de- venue nécessaire , toute sujétion à l’Angle- terre a cessé. L’indépendance de l’Amé- ricjue doit dater du moment où est parti le premier coup de fusil c[u’on a tire contre elle. Voilà la véritable ligue que nous devons suivre : elle n’est tracée ni par le caprice^ ni par rainbiîion mais par un concours d’événeiiiens dont les colonies ne sont point auteurs. Je terminerai ces remarques par quelques idées nécessaires que me dicte le seul intérêt de ma patrie. Il faut bien songer qu’il y a trois moyens difiéreus d’obtenir rindépen- dance , et que certainement , tôt ou tard ^ un de ces moyens aura lieu pour l’Ame- riqiie. Ces trois moyens sont ; la déclara-^ tîOîi solemnelle d’on congrès représentant le peuple ; la force des armes ; i insurrec- tien de la multitude. Il n’arrivera pas tou- jours que nos soldats seront citoyens^ et le peuple raisonnable. La vertu , comme je l’ai déjà remarqué , n’est point héréditaire. Si notre indépendance est le fruit du, premier des moyens que je viens d’indiquer, nous pouvons former la plus belle , la plus pure des constitutions qui ait jamais été ( io3 ) faite pou^ le bonheur de la terre. Il nous est permis , en quelque sorte, de renouvéller encore une fois le monde. Une situation pa- reille n’a point paru depuisle moment ôùNoé sortit de l’arche. Un nouveau jour va éclore; et une race d hommes, plus nombreuse peut- etre que tout ce que renferme l’Europe , va recevoir sa desthiee des évenemens^présens. Quelle réflexion imposante ! Eh ! combien les ruses et les intérêts particuliers parois- sent petits et ridicules , en comparaison de l’intérêt d’un monde. entier ! Si nous négligeons 'des circonstances aussi favorables pour assurer l’indépen- dance de l’Amérique, nous serons respon- sables de tout ce que peut occasionner par la suite ce grand événement, ou plutôt ils en répondront seuls ceux dont l’esprit étroit et les préjugés s’opposent sans cesse et sans réflexion à ce qu’il s’achève. Il est beaucoup d’autres raisons à l’ap- pui de l’indépendance , que beaucoup d homme pensent en particulier et qu’ils n’osent dire tout haut. Il ne s’agit plus maintenant de disputer pour savoir si nous seronsindépendans ou non : nous ne devons nous occuper que de le devenir d’une ma- G 4 ( ) ïiière noîaîe, sûre et durable; nous ne do* vous nous inquiéter que de ce que nous ne le sommes pas encore. Chaque jour nou$ convainc de la nécessité de notre indepen^ dance': les torys même , s'il en reste encore parmi nous, seroient les plus ardens à l’aa- çurer ; car , comme nos comités les ont d’abord protégés contre la fureur populaire, ils n’ignorent pas qu’une forme de goiiver^ nement, sage et solidement établie, est le geul moyen certain de maintenir leur tran- quillité. S’ils n’ont pas assez de vertu pour Être whigs , ils doivent avoir au moins assez de prudence pour desirer d’être indépen- dans. Enfin , l’indépendance est le seul lien qui peut désorixLa.is. nous unir : nous verrons alors par nos propres yeux ; et nos oreilles se fermeront au:?; complots, aux intrigues d’un ennemi cruel. Nous pourrons, alors liono.» rableinent entendre les propositions de la Grande-Bretagne; car il y a apparence que la cour de Londres sera moins blessée de traiter pour la paix- avec les Etats de 1 A mét- rique t nrie pour un accomiuodement avec ce quelle appelle des sujets rebelles, Çe sont nos délais qui encouragent l’An." ( io5 ) gleterre dans ses projets de conquête , et qui seront la vraie cause de la prolongation de la guerre. Pour engager l’Angleterre à réparer ses torts , nous avons sans succès interrompu notre commerce avec elle. Eh bien î essayons maintenant de nous rendre justice en peuple indépendant ; et à ce titre, offrons à l’Anglçterre de rouvrir notre commerce. Tous les marchands an- glois seront pour nous ; car ils aimeront mieux le commerce et la paix , que la guerre sans le commerce. Si FAngleterre n’accepte pas nos offres , nous nous adresserons à d’autres puissances. Je m’arrête. Comme depuis les premières éditions de ce pamphlet , personne n’a encore entrepris d’en réfuter les principes, c’est une preuve négative qu’ils sont irréfra- gables , ou que le parti qui les soutient est trop nombreux pour qu’on ose l’attaquer. Ecartons donc désormais les soupçons et la méfiance. Que chacun prenne amicalement son voisin par la main , et qu’on se fasse un devoir d’oublier les causes funestes de nos dissensions. Que les noms de Wliig et de Tory soient effacés. Ne connoissons plus d’autre distinction que celle de bon ( io6 ) citoyen , d^ami courageux ,^de défenseur vertueux des Droits i>e l’Homime , et i>ES Etats libres et usuétendatss i>e 1^’Amériqüe. C 107 ) Aux Rei^késentans de la société reli- gieuse des Quakers ^ ou à ceux de cette société qui ont publié V écrit intitulé: c< l’ak- 55 CIENIS^E PROFESSION DE FOI ET EES PRIN- >5 ciPES DU PEUPLE ^ appclléles Quakers, rencTuvellés par rapport au roi et au 35 gouvernement ^àr occasion des troubles y> qui désolent la Pensylvanie et les au- 35 très parties de V Amehique , et adressé 35 au peuple d^ Angleterre . L*^auteur de cet Écrit est un de ces hommes qui ne déshonorent jamais la religion par des plaisanteries sur les dénominations des sec- tes. Tout homme doit répondre à Dieu seul , non aux autres , de sa religion. Je vous adresse donc cette épître^ moins comme à une société religieuse que comme à un corps politique , qui veut se mêler de choses que ses maximes et son amour connus pour la paix auroient dû lui interdire. Puisque sans aucune aulorité , le fabrica* leur du pamphlet auquel je réponds a pris ( îo8 ) la parole au nom de tous les quakers , je me crois a mon tour obligé de répondre pour tous ceux qui approuvent les écrits et les principes contre lequel votre témoig-nage est dirige. Je me mets dans cette singulière situa- tion, afin que vous puissiez appercevoir en moi cette présomption que vous ne voyez jamais en vous; car ni vous ^ ni mai, ne pouvons avoir dhroit à réclamer le titre de Tcprésentans politiques. Quand des hommes s’écartent du droit chemin , il n’est pas surprenant qu’ils trébu- chent et qu’ils tombent. Il est évident par la maniéré dont vous avez arrangé votre prof es* sion de foi ^ que, comme société religieuse , la politiv^ue n’est pas le chemin qui vous convient. Quoique votre écrit vous paroisse sage et digne de vous, ce n’est qu’un mé- lange de bon et de mauvais mal assorti, et la conclusion que vous en tirez est injuste et dénaturée. Nous approuvons les deux premières pages; (le tout n’exi contient pas quatre) nous les approuvons , dis - je , et nous espérons que vous nous rendrez la jus- tice de croire que nous pensons ce qu’elles contiennent, car l’aniour de la paix no^t ( 109 ) point renfermé dans le seul quakerisme j ,c’est le désir naturel des hommes de toutes les religions : et nous, qui faisons tant d’efforts pour établir une constitution in- dépendante , nous devons plus que tous les autres espérer et desirer la paix. Notre plan est une paix éternelle. Nous sommes las de nos contentions avec l’Angleterre, et nous sentons bien qiie nous ne pouvons y mettre fin qu’en nous séparant tout-à-fait d’elle. Nous agissons conséquemment; car c’est pour obtenir une paix solide , une paix durable, que nous supportons les fatigues et les dangers actuels. Nous voulons avec per- sévérance rompre des liens qui ont déjà fait ensanglanter ces contrées , et dont le seul souvenir peut être cause de nouvelles infortunes. Nous ne combattons ni pour nous venger ni pour conquérir , ni par orgueil ni par passion. Nous n’insultons pas le monde avec- nos flottes et nos armées. Nous ne parcou- rons pas le globe pour le ravager et pour le piller. On vient nous attaquer à l’ombre de nos arbres, jUsques sous nos toits. Enfin c est dans nos propres champs qu’on nous poursuit avec violence. Nos ennemis §q ( iid ) Ittohtrent à nous en brigands ^ . en voleiirât de grands chemins. Ne pouvant avoir recours ^ aux loix pour les faire punir, nous sommes obligés d’employer les forces pour les re- pousser, et l’épée remplace la corde. Peut- êî:re les maux des infortunés que cette guerre fait gémir , d’un bout à l’autre- du contineiit , nous inspirent une pitié qui n’a point encore pénétré dans le cœur de queh qu^es-utis de vous. Mais êtes-vous certains qu0 vous ne vous méprene^i pas vous-mêmes sur la cause de vôtre profession de foi ?- Ne l’ap-» peliez point sérénité d’ame, calme religieux. » Ner mettez point le bigot à la place duchré- tiem - O vous , ministres partiaux j dont les prin- cipes sont si connus 1 avouez que si c’est un péché de prendre les armes , c’en est un plus grand de commencer la guerre. Une attaque injuste est bien . autre chose qu’une, inévitable défense. Si vous prêchez réellement d’après votre canseience ; si vous ne voulez pas vousservir seulement de la reli- gion pour étayer les maximes d’une mauvaise politique, tâchez de convaincre le monde de la vérité de votre doctrine. Faites-la en- tendre à nos ennemis , car eux aussi ont prh ( m ) les armes, Donnez^nous une preuve de votre sincérité, en vous faisant entendre à Saint- James, en vous adressant aux comman- dans en chef qui sont à Boston , aux ami- raux^ aux capitaines de vaisseau qui viennent en pirates, ravager nos côtes ^ et à tous les assassins qhi CQmmettent des massacres sous 1 autorité dii roi, que vous xl^ciarez servir#^ Si vous aviez rhonnêteté de Barclay (i) , vous prêcheriez la repentance à votre roi; vous lui diriez . vous ravèrtiriez de sa perte éternelle. ^ '1 : (i) CC Tu as goûté de la prospérité eV de Padverslté*. >5 Tu sais ce que c’est qüe d’étre- banui- de soir pay^ » natal, d’être gouverné, comme db goiiverner%t d’êtré’ >> mis sur le trône. Long-t@mps opprim| /tu d©is cou- 0 noître coinbien l’opp^esseur es^ qn e:^éçrMlpn.à DLea 0 et aux hommes. Si après tous ces avertissemens , tu O ne reviens pas a Dieu du fond de Ton cœur 5 si tu •3 oublies celui qui s%st souveiiu^âeToi dans tes mal- 3 heurs, et-si tût’âbajidonnes a la débauche étala va- 3 nité, certes ton châtiment seravterrible--*Si tu veux 3 éviter les embûches de, ceux qui cherchent à te sé-l 3 duire et a te porcerr au mal , le pieilleur moyeu 3 c’est d’avoir recours à la lumière du Christ,, qui brille 3 dans ta conscience, qui ne te flattera jamais, et qui 3 ne souffrira point que tu sois en paix au sein du péché». Adresse ’dé Barclay à Charles II, ( Ï12 ) Il ne faudroit pas prodiguer vos saiiites invectives aux malheureux seuls*, aüx op- primés : mais en ministres fidèles , vous devriez élever la voix et n’épargner personne. Ne dites point que vous êtes per- sécutés. Ne vous efforcez pas de nous attri-^ buer un reproche que vous vous faites vous- mêmes ; car nous attestons publiquement que nous ne nous plaignons pas que vous soyiez quakers : nous nous plaignons seule- ment de ce que vous prétendez l’être^ et ne l’êtes pas* Hélas ! il semble par quelques passages do yolve profession de foi , et quelquefois par votre conduite^ que tous les péchés se ré- duisent à celui de prendre les armes > et que ce n’est un péché que quand c’est le peuple qui les prend. Mais vous vous êtes mépris, et en général vous n’êtes pas conséquens. Il nous est impossible de croire beaucoup à vos scrupules , parce que nous voyons qu’ils partent des mêmes hommes qui , dans le même temps qu’ils déclament contre le Mammon de ce monde, en poursuivent tous les avantages avec une constante avidité. Le passage que vous avez cité des pro- verbes, dans la troisième page de votre pro- fession , . . . f ^esxiflntlejbi, qui dit que — « quand un Iiom- >> me marche dans les voies du seigneur, le » seigneur lait qu’il est en paix avec ses » ennemis 33, - — est três-mal choisi par VOUS; car il prouve que le roi que vous avez tant d’envie de défendre , ne plaît point au seigneur : s’il lui piaisoit son règne seroit en paix. J en viens a présent à la dernière partie de votre profession aefoi, cette partie à laquelle tout le reste n’est qu’une introduction. « Depuis que nous avons été appeüés à » suivre la lumière du Christ , dites vous , 33 notre jugement et nos principes ont tou- >3 jours ete , ainsi que nous l’avons manifesté 33 dans notre conscience jusqu’à ce jour , 33 que Dieu seul , par des raisons qu’il garde >3 dans sa sagesse , a le droit d’élever et 33 d’abaisser les rois, et que ce n’est point 33 à nous à nous occuper de ces choses, et >3 a nous meler clans des complots , c]ui 33 pourroient occasionner la perte d’aucun 33 d’entr’eux. Nous ne devons que prier pour 3» le roi , pour la prospérité de la nation et 33 pour le bien de tous les hommes. Nous 33 devons chercher à vivre en paix , à vivre *• honnêtement et saintement, sous le gou- H (il4) , ; 3, vernement que Dieu s’est plu à établir suf » nous ». Si tels sont effectivement vos principes , pourquoi ne vous y renfermez - vous pas ? Pourquoi ne laissez vous pas à Dieu le som de régler ce que vous appeliez l’ouvrage de Dieu ? Ces principes vous prescrivent d’at- tendre avec patience , avec humilité , l’effet des mesures publiques et de les recevoir comme venant de Dieu. Si vous croyez véritablement ce que votre profession de foi contient , comment avez - vous pu la publier? Mais le parti que vous avez pris de la publier , prouve ou que vbus^ ne croyez point ce que vous professez de croire , ou que vous n’avez pas assez de vertu pour pratiq'ueï’ ce (jne vous croyez. Les principes du quakerisme sont de rendre ceux qui les professent sujets tranquilles et innocens du gouvernement quel qu’il soit. Sirélévation ou l’abaissement des rois n’ap- partient qu’à Dieu seul , il ne souf&ira certainement pas que nous lui dérobions ce privilège. Or , ce principe vous conduira à approuver tout ce qui est arrivé ou peut arriver aux rois , comme étant 1 ouvrage indispensable de Dieu. Olivier Cfomuel ( ii5 ) VOUS remercie ; car , suivant vous , Charles premier ne mourut pas par la main des hom- mes ; et si TorgueilleuX imitateur de Charles éprouve le même sort, les auteurs de la prof es* sion de foi seront forcés d’y applaudir, d’api ès la doctrine que contient leur pamphlet. Non, les rois ne sont pas détrônés par des miracles ; et tous les changemens qui sur- viennent dans les gouvernemens s’opèrent par des moyens ordinaires , et tels que ceux que nous employons en ce moment. La dis- persion même des Juifs , quoique prédite par le Sauveur , fut l’ouvrage des armes. Si vous ne croyez pas à ces moyens, vous ne devez pas vous en mêler , et il faut que vous attendiez en silence l’événement ; et à nioiiis que vous ne montriez un signe au- thentique de l’at^torité divine , qui prouve que Dieu , qui a placé ce nouveau monde à une si grande distance de l’ancien , ne veut pourtant pas q^^il soit indépendant de la cour perverse et abandonnée de la Grande- Bretagne ; à moins , disqe , que vous ne fournissiez cette preuve , comment pouvez- yous , d’ après vos principes , pousser , ex- citer lesAméricains ce à se forliher mutuelle- 0 ment dans la haine des écrits et de toutes » les mesures qui pourroient nous porter à rompre les heureux liens qui nous ont >5 unis jusqu’à présent à la couronne de la >5 Grande-Bretagne, et à manquer à la juste >5 subordination que nous devons au roî j » et à ceux qu’il a légitimement investis » d’une partie de son autorité » ? Quel soufflet on se donne ici ! Les hommes qui ont plus haut reconnu tranquillement et paisiblement que Dieu seul devoit sô mêler de ce qui concerne les rois et les gouvernemens , abjurent presqu’aussi - tôt. leurs principes , et veulent intervenir dans l’ouvrage de Dieu ! Est-il possible qu’une telle conclusion puisse dériver de la doc- trine que vous avez établie? L’inconséquence est trop frappante pour ne pas être apperçue; l’absurdité trop grande pour ne pas apprêter à rire à vos dépens , et telle enfin qu’elle ne peut provenir que d*un esprit étroit 3 obscurci par les préjugés ^ et aigri par la partialité. Il est bon d’observer, d’ailleurs, que les auteurs de l’écrit ne sont pas regar- dés comme formant toute la société des quakers , mais comme une partie très-^ exiguë et très-factieuse de cette société. Je finis l’examen de votre pamphlet , ( *17 ) ^üe je n’invîte personne à abhorrer , à votre exemple , mais à lire et à juger avec équité- J y joindrai encore la remarque sui- vante : c’es" que Télévation et rabaissement des rois, signifie certainement le pouvoir de faire un roi de celui qui ne Test pas, et de faire cesser de l’être celui qui l’est. Or, dites- moi, je vous prie, quel rapport cette maxime a avec les affaires actuelles? Nous ne vou- lons élever ni renverser, faire ni défaire des rois; nous voulons seulement n’avoîr rien à démêler avec eux. Ainsi votre écrit , de quelque côté qu’on le consi- dère, ne sert qu’à déshonorer votre juge- ment; et vous auriez dû, par beaucoup d’autres raisons , le cacher au lieu de le publiefV. Premièrement, il ne peut que nuire à la religion en général , et il est du plus grand danger pour la société , parce qu’il n’est bon qu’à créer de nouveaux partis, et à augmenter les disputes politiques. Secondement, il semble partir d’une so- ziété d’hommes, dont la plupart le désa- irouent et désapprouvent sa publication. 1 rorsiémement, ii est propre à détruira :elte harmonie, cette amitié continentale. ( ii8 ) que vous mêmes , par votre cliarité et vo3 •dons généreux , vous avez naguère encore aidé à établir, et dont la conservation est de la plus grande conséquence pour les liabitans de ces contrées. Ici, toujours sans colère et sans ressenti- ment, je vous fais mes adieux, désirant sincèrement que vous puissiez toujours pleinement jouir de tous les droits civile et politiques , qui appartiennent à des hommes et à des chrétiens : puissiez-yous même à votre tour concourir à les assu- rer aux autres ! et que l’exemple que vous uvez imprudemment donnée en mêlant la religion à la politique , soit ù jainais désa- voué et blâmé par tous les habitans de l’Amérique ! FIN. TABLE DES CHAPITRES. Chàp. 1er. X>e V Origine et du But du Gouvernement en général^ avec quelques remarques sur la Constitution angloise j page 1 Ch AP. IL De la Monarchie et de la Suc* cession héréditaire , i4 Chap. IIL Considératioîis sur V état présent des affaires de V Amérique ^ |33 Chap. IV. Des ressources de V Amérique* Réflexions diverses , 68 ArrrNDicE , 89 Adresse à la société des Quakers^ toj Fin dé la Table. PHÎ5 V'